Une fois n’est pas coutume : dès
l’annonce du Nobel de Littérature 2018 (mais attribué en 2019, je ne reviendrai
pas sur la fameuse affaire du fiasco de 2018) décerné à cette auteure
polonaise, j’ai eu envie de fourrer le nez dans ses livres. Et comme l’un d’eux
avait été publié en 2016 par La Contre Allée, éditeur dont je me délecte
souvent, de surcroît dans l’excellente collection Fictions d’Europe, je me
précipitai sur l’œuvre. Grand bien m’en a pris car il s’agit d’une petite
merveille, brève mais d’une grande densité.
1656, l’écossais William Davisson, par
ailleurs narrateur du récit et botaniste, est appelé pour devenir médecin du
roi de Pologne Jean II Casimir. Davisson a déjà officié auparavant comme
botaniste du roi de France. Seulement il parvient à destination en plein
conflit, deux pays étant en guerre contre la Pologne, à l’ouest la Suède et à
l’est la Russie. Le roi Jean II Casimir, mélancolique et dépressif, s’étiole.
Dès son arrivée Davisson est interpellé
par les coiffures en vogue chez les pauvres de Varsovie, « touffes, nœuds, nattes hérissées comme la
queue d’un castor ». Puis il parcourt les campagnes avec son second
Opaliński et le roi dont il prend grand soin. Partout il voit les effets
désastreux de la guerre sur les paysages, les populations, et la santé du roi
qui décline rapidement et provoque un arrêt du cortège chez le chambellan de
Luck. Là-bas, les soldats partent en chasse pour sustenter les troupes, mais
reviennent avec un bien étrange butin : deux enfants d’environ 5 ans, aux
cheveux hirsutes et surtout… Une peau couleur verte ! D’après Opaliński
cette couleur est le résultat de longs temps passés en forêt pour fuir la
guerre, se cacher dans la nature, cette nature qui pour le narrateur est
« Tout ce qui nous entourait, à
l’exception de ce qui est humain, c’est-à-dire de nous et de nos créations ».
Le roi se prend de tendresse pour ces deux êtres chétifs et les gâte. La fille
est prénommée Ośródka.
À la suite d’une mauvaise chute, Davisson
se casse une jambe. Le cortège du roi doit reprendre la route sans son médecin
attitré qui aura pour distraction la présence quotidienne des petits enfants
verts et sauvages qui vont devoir être baptisés (à Pâques, on n’est jamais
assez prudent) car pouvant bien être des représentants du diable, jusqu’en leur
chevelure qu’il faudra tondre. Des enfants qui doivent coûte que coûte se faire
apprivoiser, de gré ou de force. L’un va en mourir mais son corps va
disparaître…
« Un
jour, Opaliński demanda à Ośródka s’ils avaient un Dieu.
-
C’est
quoi, Dieu ? voulut-elle savoir ».
Ce peuple représenté par Ośródka et son
frère peut faire penser de loin aux Cathares, car vivants isolés de tout, en
communion avec la nature : « Ils
ont aussi leur propre façon de communiquer avec les animaux et, comme ils ne
consomment pas de viande et ne pratiquent pas la chasse, les bêtes non
seulement sont leurs amies et les aident, mais leur racontent leurs histoires,
ce qui est source de sagesse pour le peuple vert et lui procure une meilleure
connaissance de la nature ». Leur destin pourrait être rapproché de
celui de Kaspar HAUSER ou de Victor l’enfant sauvage immortalisé par TRUFFAUD),
des gamins éduqués et « civilisés » de force, tyrannisés par les
« puissants ».
Bien sûr ce superbe texte se lit sur
plusieurs niveaux. Tout d’abord la forme du conte, très prégnante, le contexte
historique (la guerre, les saccages, la folie des hommes) pourrait en être un
autre. Car nous avons là non pas une mais plusieurs allégories, un récit
pacifiste, athée, débarrassé de maîtres et d’esclaves comme des chimères de la
bonne éducation, conte libertaire, écologique et onirique qui, plus
profondément, paraît une dénonciation brutale mais toute en saveur du monde
actuel. Un vrai bijou à se procurer d’urgence, d’autant que la somme pour
l’acquérir est modique, comme d’ailleurs toutes les publications de la
collection Fictions d’Europe. Je reviendrai très prochainement vers cette
auteure qui a su me domestiquer par sa poésie, sa prose magnifique et sa magie.
(Warren
Bismuth)
enthousiasmée par ce petit texte découvert hier à la librairie le verbe et l'objet de Senlis
RépondreSupprimerBonjour, oui très joli texte et très belle maison d'édition.
RépondreSupprimer