dimanche 22 décembre 2019

Virginie SYMANIEC « Barnum - chroniques »


L’auteure de ce livre de chroniques (en forme de journal de bord) est également éditrice de la maison Le Ver à Soie. C’est en quelque sorte de là que tout est parti. Enfin, pas vraiment, plutôt un peu avant, après la mort de la mère de Virginie SYMANIEC. Bref, le Ver à Soie est né en 2013 et se veut farouchement indépendant, loin des grands distributeurs, loin des gros tirages. Une petite maison à taille humaine dont le but est de rencontrer son lectorat. Mieux : de l’inventer.

Virginie SYMANIEC est une passionnée curieuse, alors elle veut partager, aller au contact des gens, pas spécialement des lecteurs potentiels d’ailleurs. Lecture pour tous, c’est ce que l’on a envie de crier en lisant ce livre. Quant à Virginie, elle se déplace avec sa Twingo pourrie sur les marchés, elle tient des stands, elle expose et sa bonne humeur et ses réalisations, pour adultes et jeunesse. Elle en est fière, on la comprend.

Virginie est de ces tronches de biais, de celles qui ont souffert, entre les morts survenues un peu tôt, les galères, le chômage et la précarité (13 ans dans cette situation), elle a opté pour la liberté dans la dèche : se faire éditrice, toute seule, sortir des livres qu’elle veut faire connaître, tout ça sans délimitation de l’espace : « Drôle de chose que de construire sa maison d’édition sans murs, sans capital et seule dans son appartement ». Elle ne compte pas les heures supplémentaires. Ni les autres d’ailleurs, puisqu’elle ne gagne en réalité pas grand-chose. Là nous parlons purement d’argent, de thunes, de fric, de fraîche, car pour le reste elle gagne tellement, en liberté, épanouissement, rencontres, sentiment d’utilité, passerelle culturelle.

Ne croyons pas que le monde de la littérature est exempt de sexisme (d’ailleurs concernant notre blog, nous en aurions de fort tordantes à vous raconter, mais nous choisirons l’indifférence, le meilleur des mépris), que nenni ! Que l’on veuille survivre et boustifailler par la culture et de plus en étant une femme, pourquoi non plus ne pas vouloir tout faire seule tant qu’on y est ? C’est pourtant ce que fait la patronne du Ver à Soie. « Que n’ai-je donc choisi de faire ˝un vrai métier de femme˝ ? Secrétaire, institutrice, infirmière, caissière ? Il se trouve que derrière toute femme m’ayant harcelée ou cassé la figure, il y a toujours eu un homme qui pensait devoir me faire obstacle parce que je ne faisais pas ce qu’il fallait pour le faire prospérer, lui ».

Dans ces 220 pages de chroniques croquées çà et là entre 2013 et 2017 (2019 pour la toute dernière), l’auteure se raconte. Avec délicatesse, humour, sans prétention, elle revient sur son parcours : la mort du grand-père en 1977 (elle a alors 9 ans) qui va en partie décider de la suite, le choix de créer une maison d’édition, les difficultés (surtout pour une femme) administratives (parfois on croit rêver devant les demandes quelques peu inattendues de nos tendres bureaucrates). Puis la concrétisation, Amazon qui vient mettre le nez, l’auteure qui nous apprend comment contourner la dictatoriale entreprise multinationale, puis qui fait part de ses poisses, multiples (« Quelqu’un sait-il si la peste et le choléra viennent avant ou après la nuée de sauterelles ? »), de ses coups de mou, mais jamais cette vilaine envie de raccrocher les gants (les moufles serait un terme plus adéquat, voir l’anecdote sur la calculatrice). La drôlerie, toujours : « J’aime beaucoup cet homme : il est fin, intelligent et pauvre, ce qui l’oblige à avoir beaucoup d’humour ».

Les anecdotes de marchés sont légion, elles donnent du piment, de la couleur, toujours cette légèreté apparente derrière la gravité de la situation (les caprices de la météo, les concurrents déloyaux, etc.), d’autant que l’éditrice possède un bout de Biélorussie en elle, ce qui provoque parfois des situations singulières. Ces chroniques savent se faire dosément politiques, notamment avec l’évocation de LOUKACHENKO, le dictateur biélorussien. V. SYMANIEC semble avoir toujours eu un pied en Europe de l’est, même indirectement, elle travailla en effet notamment à la Maison d’Europe et d’Orient (l’occasion pour moi de saluer ici amicalement Dominique DOLMIEU) et devint spécialiste du théâtre russe et biélorusse.

Sa librairie éphémère et itinérante, elle la dorlote, elle la gâte. En 2016 c’est le grand luxe avec l’investissement d’un barnum, un petit, rouge, qui tient dans la Twingo. Et gaffe aux bonimenteurs (il n’en manque pas dans la culture et sur les marchés). « Un diffuseur m’a approchée. Il se propose de faire la tournée des librairies pour y présenter les livres du Ver à soie, en me disant que mes livres sont beaux et qu’on va faire beaucoup d’argent ». L’esprit Amazon semble hanter la culture. L’auteure rappelle à toute fin utile la loi sur le prix unique du livre. On ne sait jamais. Gaffe aussi aux auteurs, ceux qui ont chié le monde tous les matins. « Nous, les éditeurs, sommes des producteurs qui n’avons aucune obligation d’assouvir avec notre propre argent le désir d’autrui d’être publié. Car c’est bien cela qu’on nous demande lorsqu’on nous envoie un texte : de financer sa fabrication sous forme de livre et d’en assurer l’exploitation moyennant contrepartie financière sur la vente de chaque exemplaire ».

À défaut d’avaler des couleuvres, l’auteure éditrice va conséquemment avaler les kilomètres de bitume pour faire connaître son travail, sur les marchés (chaque été dans le sud-ouest) ou dans les foires aux livres. Quant à nous, nous le ferons par le biais de ce blog, d’autant que des titres du catalogue sonnent diablement russes, l’occasion semble propice, voici le lien :


Les marchés, les projets, les réalisations rythmés par l’actualité : « Emmanuel Macron et Marine Le Pen sont au second tour de l’élection présidentielle. Une fée de mes connaissances a prononcé par hasard les mots justes : mes valeurs, dit-elle, sont incompatibles avec celles du monde dans lequel je vis ».

Ce livre est quant à lui tout à fait compatible avec notre curiosité sur les micro éditions, il vient de sortir aux éditions Signes et Balises, c’est même le dixième titre édité (champagne !), il est beau et particulièrement soigné dans sa présentation. Un immense merci à Anne-Laure BRISAC pour sa passion communicative et sa confiance.


(Warren Bismuth)
 

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