L’auteure de
ce livre de chroniques (en forme de journal de bord) est également éditrice de
la maison Le Ver à Soie. C’est en quelque sorte de là que tout est parti.
Enfin, pas vraiment, plutôt un peu avant, après la mort de la mère de Virginie
SYMANIEC. Bref, le Ver à Soie est né en 2013 et se veut farouchement
indépendant, loin des grands distributeurs, loin des gros tirages. Une petite
maison à taille humaine dont le but est de rencontrer son lectorat.
Mieux : de l’inventer.
Virginie
SYMANIEC est une passionnée curieuse, alors elle veut partager, aller au
contact des gens, pas spécialement des lecteurs potentiels d’ailleurs. Lecture
pour tous, c’est ce que l’on a envie de crier en lisant ce livre. Quant à
Virginie, elle se déplace avec sa Twingo pourrie sur les marchés, elle tient
des stands, elle expose et sa bonne humeur et ses réalisations, pour adultes et
jeunesse. Elle en est fière, on la comprend.
Virginie est
de ces tronches de biais, de celles qui ont souffert, entre les morts survenues
un peu tôt, les galères, le chômage et la précarité (13 ans dans cette
situation), elle a opté pour la liberté dans la dèche : se faire éditrice,
toute seule, sortir des livres qu’elle veut faire connaître, tout ça sans délimitation
de l’espace : « Drôle de chose
que de construire sa maison d’édition sans murs, sans capital et seule dans son
appartement ». Elle ne compte pas les heures supplémentaires. Ni les
autres d’ailleurs, puisqu’elle ne gagne en réalité pas grand-chose. Là nous parlons
purement d’argent, de thunes, de fric, de fraîche, car pour le reste elle gagne
tellement, en liberté, épanouissement, rencontres, sentiment d’utilité,
passerelle culturelle.
Ne croyons
pas que le monde de la littérature est exempt de sexisme (d’ailleurs concernant
notre blog, nous en aurions de fort tordantes à vous raconter, mais nous
choisirons l’indifférence, le meilleur des mépris), que nenni ! Que l’on
veuille survivre et boustifailler par la culture et de plus en étant une femme,
pourquoi non plus ne pas vouloir tout faire seule tant qu’on y est ? C’est
pourtant ce que fait la patronne du Ver à Soie. « Que n’ai-je donc choisi de faire ˝un vrai métier de femme˝ ?
Secrétaire, institutrice, infirmière, caissière ? Il se trouve que derrière
toute femme m’ayant harcelée ou cassé la figure, il y a toujours eu un homme
qui pensait devoir me faire obstacle parce que je ne faisais pas ce qu’il
fallait pour le faire prospérer, lui ».
Dans ces 220
pages de chroniques croquées çà et là entre 2013 et 2017 (2019 pour la toute
dernière), l’auteure se raconte. Avec délicatesse, humour, sans prétention,
elle revient sur son parcours : la mort du grand-père en 1977 (elle a
alors 9 ans) qui va en partie décider de la suite, le choix de créer une maison
d’édition, les difficultés (surtout pour une femme) administratives (parfois on
croit rêver devant les demandes quelques peu inattendues de nos tendres
bureaucrates). Puis la concrétisation, Amazon qui vient mettre le nez,
l’auteure qui nous apprend comment contourner la dictatoriale entreprise
multinationale, puis qui fait part de ses poisses, multiples (« Quelqu’un sait-il si la peste et le choléra
viennent avant ou après la nuée de sauterelles ? »), de ses coups
de mou, mais jamais cette vilaine envie de raccrocher les gants (les moufles
serait un terme plus adéquat, voir l’anecdote sur la calculatrice). La drôlerie,
toujours : « J’aime beaucoup
cet homme : il est fin, intelligent et pauvre, ce qui l’oblige à avoir
beaucoup d’humour ».
Les anecdotes
de marchés sont légion, elles donnent du piment, de la couleur, toujours cette
légèreté apparente derrière la gravité de la situation (les caprices de la
météo, les concurrents déloyaux, etc.), d’autant que l’éditrice possède un bout
de Biélorussie en elle, ce qui provoque parfois des situations singulières. Ces
chroniques savent se faire dosément politiques, notamment avec l’évocation de
LOUKACHENKO, le dictateur biélorussien. V. SYMANIEC semble avoir toujours eu un
pied en Europe de l’est, même indirectement, elle travailla en effet notamment
à la Maison d’Europe et d’Orient (l’occasion pour moi de saluer ici amicalement
Dominique DOLMIEU) et devint spécialiste du théâtre russe et biélorusse.
Sa librairie
éphémère et itinérante, elle la dorlote, elle la gâte. En 2016 c’est le grand luxe
avec l’investissement d’un barnum, un petit, rouge, qui tient dans la Twingo.
Et gaffe aux bonimenteurs (il n’en manque pas dans la culture et sur les
marchés). « Un diffuseur m’a
approchée. Il se propose de faire la tournée des librairies pour y présenter
les livres du Ver à soie, en me disant que mes livres sont beaux et qu’on va
faire beaucoup d’argent ». L’esprit Amazon semble hanter la culture.
L’auteure rappelle à toute fin utile la loi sur le prix unique du livre. On ne
sait jamais. Gaffe aussi aux auteurs, ceux qui ont chié le monde tous les
matins. « Nous, les éditeurs, sommes
des producteurs qui n’avons aucune obligation d’assouvir avec notre propre
argent le désir d’autrui d’être publié. Car c’est bien cela qu’on nous demande
lorsqu’on nous envoie un texte : de financer sa fabrication sous forme de
livre et d’en assurer l’exploitation moyennant contrepartie financière sur la
vente de chaque exemplaire ».
À défaut
d’avaler des couleuvres, l’auteure éditrice va conséquemment avaler les
kilomètres de bitume pour faire connaître son travail, sur les marchés (chaque
été dans le sud-ouest) ou dans les foires aux livres. Quant à nous, nous le
ferons par le biais de ce blog, d’autant que des titres du catalogue sonnent
diablement russes, l’occasion semble propice, voici le lien :
Les marchés,
les projets, les réalisations rythmés par l’actualité : « Emmanuel Macron et Marine Le Pen sont au
second tour de l’élection présidentielle. Une fée de mes connaissances a
prononcé par hasard les mots justes : mes valeurs, dit-elle, sont
incompatibles avec celles du monde dans lequel je vis ».
Ce livre est
quant à lui tout à fait compatible avec notre curiosité sur les micro éditions,
il vient de sortir aux éditions Signes et Balises, c’est même le dixième titre
édité (champagne !), il est beau et particulièrement soigné dans sa
présentation. Un immense merci à Anne-Laure BRISAC pour sa passion
communicative et sa confiance.
(Warren Bismuth)
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