L’un des
romans les plus longs de SIMENON, peut-être aussi l’un des plus denses, il fut
achevé en 1935. Contrairement à la plupart des trames de l’écrivain, celle-ci
est complexe et met en scène de nombreux personnages sur environ 450 pages. Un
scénario où pas mal d’anti-héros vont vire côte-à-côte, pas toujours en
harmonie.
Tout commence
lorsque Charlotte, après avoir tué son ancien employeur à Paris, est en fuite
avec son petit ami, Mittel. Au moment du drame, elle cherchait à se faire
offrir une forte somme d‘argent afin de financer des actions anarchistes.
Mittel lui-même est fils d’un anarchiste ayant appartenu à la célèbre Bande à
Bonnot, et de ce fait hautement respecté. À Dieppe ils parviennent à embarquer
clandestinement (le nom de Charlotte comme criminelle est sorti dans les
médias) sur un cargo pas très net, puisque transportant des mitrailleuses
destinées à aider l’action révolutionnaire en Équateur en vue de renverser le
gouvernement, action qui par ailleurs échouera, rendant les armes du cargo
inutiles. Le capitaine mystérieux et taciturne du rafiot, Mopps, tombe sous le
charme de Charlotte, ils font rapidement leur affaire. Enceinte, Charlotte ne
semble pas savoir de qui est l’enfant qui va naître. Elle assure à Mittel tout
comme à Mopps que c’est bien son interlocuteur le père du bébé.
Mopps se
lasse de cette idylle et propose au couple boiteux de lui fournir des faux
papiers afin qu’ils s’enfuient (car toujours recherchés par les autorités). Ce
sera la Colombie. Ce n’est que plus tard que Mopps propose à Mittel qu’il
vienne le rejoindre à Tahiti, accompagné de Charlotte. Cette dernière devient
serveuse dans un bar, aguiche les clients. Un bras de fer se dessine à
l’horizon…
Une première
partie maritime, dont l’atmosphère rappelle furieusement certains romans ou
nouvelles de Joseph CONRAD (que SIMENON avait beaucoup lu), avec son défilé de
gueules cassées, de marins au caractère trempé, de termes techniques sur la
navigation et la vie sur un bateau. Une grosse pincée du Jack LONDON marin est
également perceptible, peut-être pour le côté politique, qui n’est par ailleurs
qu’un prétexte à SIMENON pour présenter un couple traqué, historiquement rien
n’est conséquent, sinon un climat délétère des 30’s, « La situation en Europe est tendue et… ».
Lorsque les
protagonistes atteignent la terre ferme, le roman, bien entendu, se fait plus
Simenonien, avec ces couples dépareillés, ses jalousies, ses coups de pied de
l’âne, cet univers aigre, désenchanté, collant, boueux, sur fond d’alcool. Il
paraît même être une sorte de fiche technique des thèmes et convictions (pas
toujours très propres) du romancier : à la fois roman de la fuite et de
l’échec (DES échecs devrais-je plutôt écrire), influencé par le roman
classique, le roman d’aventures, l’intimiste et la rancoeur, il est aussi
l’occasion pour SIMENON de brèves réflexions racistes ou sexistes qui en gênent
la lecture. Cependant, et au risque de me faire l’avocat du diable, je
considère ce roman comme une des grandes réussites de l’auteur, peut-être
justement parce qu’il avance sans maquillage ni bouclier, au risque de se faire
torpiller. Je n’excuse en rien les dérapages de SIMENON car, même s’ils font
partie de l’œuvre, ils en sont à jamais un caillou dans la godasse. Mais dans
ce roman, l’auteur semble plus dépeindre un état de fait que prendre position
ouvertement, même si bien sûr il possède ses faiblesses et ses ignobles
certitudes.
« Long
cours » est de ces romans qui dépeignent à la fois une époque et l’idée
d’une littérature d’un temps. Il est charpenté, très structuré. Il aurait pu
être politique, mais SIMENON aurait alors peut-être dû se glisser dans des
réflexions personnelles qu’il aurait pu avoir du mal à tenir. Il s’est parfois
– à tort – présenté comme anarchiste, il est possible qu’il pense l’être tout à
fait en faisant vivre ce couple en fuite, même si rarement il approfondit le
thème politique et social. Ses personnages sont plutôt ancrés dans une relation
sociale, sociétale et surtout psychologique (sans doute la force du romancier
tout au long de sa carrière). Lire « Long cours » c’est à la fois
avoir la conviction du réel talent de l’écrivain imaginatif qu’était SIMENON,
tout en brandissant les garde-fous sur ses idées rétrogrades d’homme blanc
occidental. « Long cours », de 1935 donc, tend à montrer une fois de
plus que les SIMENON d’avant 1939 restent ses meilleurs, partant du principe
que nous devons avoir une lecture critique de l’œuvre.
(Warren Bismuth)
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