lundi 6 janvier 2020

Jordi SOLER « Ce prince que je fus »


Tout commence vers 1520 lorsqu’au Mexique, Xipaguazin, fille du dernier empereur aztèque Moctezuma II, est enlevée par le capitaine Don Juan de Grau, baron espagnol de Toloríu. 500 ans plus tard, au XXe siècle, tout début des années 60, Federico de Grau Moctezuma se proclame de son Espagne natale le digne descendant de la princesse Xipaguazin, qui soit dit en passant était folle à lier. Une descendance qui ne tombe pas si mal pour le dictateur espagnol FRANCO. Désireux de redorer son blason auprès d’un Mexique qui le déteste et a stoppé toutes relations diplomatiques avec l’Espagne en 1939, il va tenter d’utiliser « Son Altesse Impériale » Federico de Grau pour qu’il lui serve de tremplin. Pour de Grau, c’est aussi une chance inespérée d’affirmer sa descendance, bientôt contestée. Le dictateur et le prince, alors âgé de 23 ans, vont se rencontrer à plusieurs reprises afin d’ouvrir des négociations avec le Mexique. Le peintre Salvador DALI va à cette occasion jouer une petite partition, tuée dans l’œuf.

Le prince va profiter de son titre, festoyer à tout crin, se saouler sans vergogne, menant grande vie. Exubérant (ses tenues scintillantes ne passent pas inaperçues), provocateur, ivrogne, ce prince semble aussi être un mystificateur, son héritage n’est peut-être pas aussi limpide que ce que de Grau veut bien en laisser voir. C’est ce qu’apprend le narrateur, journaliste (Jordi SOLER lui-même) en menant l’enquête, au départ afin de découvrir un possible trésor aztèque enfoui quelque part dans les Pyrénées, ensuite en décidant d’entreprendre une biographie du prince.

Un prince qui va vivre une descente aux enfers, une déchéance proche de l’apocalypse, qui va se saouler à ne plus en pouvoir, après avoir profité allègrement de la rente que lui aurait (vous noterez le conditionnel, voir plus loin) versé le Mexique en tant qu’unique héritier de la princesse Xipaguazin et descendant du dernier empereur aztèque.

Cette biographie est-elle véritable ? Il est permis d’en douter. Elle semble plutôt jaillie du cerveau en ébullition de l’auteur. Certes, le sinistre FRANCO a bel et bien – et malheureusement - existé, ses relations avec le Mexique furent impossibles, Moctezuma a également existé. Mais qu’en est-il de ce prince expansif ? La question reste posée, la fiction semble toutefois l’emporter. Quoi qu’il en soit, ce récit, documenté ou joliment inventé, est plein de rebondissements, de personnages hauts en couleur, de fêtes à tout casser (orgies psychédéliques dans les années 60). Le prince a également appris quelques tirades d’un film mexicain afin de les ressortir à ses convives pour faire plus figure locale.

Le narrateur dit avoir rencontré de Grau avant sa mort, survenue au tout début du XXIe siècle. Dans ce roman picaresque (plus qu’historique dirons-nous), l’action se déplace du Mexique en Espagne en passant par l’Angleterre, le narrateur, comme de Grau, ayant la bougeotte. Les phrases sont longues, riches et complexes, l’intrigue dense, il n’est pas impossible de se perdre entre deux paragraphes. L’humour, très présent, est particulièrement caustique. Géographiquement mais aussi dans l’espace temps, ce roman donne le tournis. De flashbacks médiévaux aux situations du presque présent en passant par les années 60 et la dictature franquiste, la lecture laisse peu de répit.

Si ce qui est écrit dans ce livre s’avérait réel, nous n’aurions pas affaire à un roman, mais bien à un documentaire, un essai biographique et historique pointu. Oui mais… Il est impossible de séparer le vrai du faux, le narrateur semblant se mettre dans la peau de « son » prince afin de mystifier à son tour le lectorat qui, en fin de compte, ne sait pas sur quel pied danser, manquant de repères. Et si tout était inventé ? Je vous laisse trancher la question et découvrir ce bouquin pour lequel il vous faudra peut-être mettre votre rationalisme de côté afin de le lire comme une vraie épopée fantasmée, sortie de l’imagination fertile d’un auteur qui a, possiblement à son tour, abusé du vin en brick et du whisky dont raffolait le prince. Livre inclassable paru en 2019 chez La Contre Allée, dans la collection la Sentinelle, scrupuleusement traduit par Jean-Marie SAINT-LU.


(Warren Bismuth)

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