Baptiste, pas encore la trentaine, est un
imitateur talentueux mais de seconde zone qui évolue dans un petit théâtre
indépendant dirigé par Vincent, qui épaule baptiste. Un soir que ce dernier a
laborieusement terminé sa prestation devant une foule colossale de 27
personnes, il est visité dans sa loge par son romancier favori, « Goncourt à la toute fin du vingtième siècle »,
Pierre Chozène. Ce que va lui demander Chozène paraît stupéfiant. Il prépare un
nouveau livre, or il est sans cesse assailli d’appels sur son téléphone, ses amis,
ses proches, son éditeur, des journalistes, tous semblent s’être ligués pour
que Chozène n’ait plus cinq minutes à lui pour travailler.
Le service est le suivant : Baptiste
peut-il devenir son « répondeur » ? C’est-à-dire imiter la voix
de Chozène en gardant le téléphone portable de l’auteur afin de répondre à sa
place mais avec sa voix aux importuns ? Bien sûr le romancier le
rétribuera. Mieux, il lui confiera sa « bible », un bloc-notes composé
de feuilles de bristol noircies des impressions de l’auteur sur les personnes
qui l’appellent le plus souvent. Baptiste n’aura qu’à apprendre cette bible au
fur et à mesure des appels afin de posséder quelques pistes utiles à ses
réponses téléphoniques. Baptiste accepte, quitte le théâtre pour devenir en
quelque sorte le « nègre » vocal de Chozène. Il quitte également son
poste en agence d’intérim pour devenir la voix, le double et la conscience de
Chozène.
Les premières imitations sont
décourageantes : « Quoi de
pire, qu’un mauvais imitateur ? C’était une double imposture ».
Toutefois, la progression est rapide et il semble enfin en mesure de pouvoir doubler
vocalement le célèbre romancier. D’ailleurs, les proches de Chozène tombent immédiatement
dans le panneau, croyant parler à l’écrivain. C’est ainsi que Baptiste va faire
connaissance avec Elsa, artiste peintre et fille de Chozène, entichée d’un
certain Husson, journaliste et inconditionnel de l’auteur, un Husson qui
deviendra promptement l’ennemi car, oui, Baptiste en pince pour Elsa.
De coups de fil en dialogues, Baptiste entre
dans les secrets de la vie de Chozène, jeu morbide qu’il finit par
affectionner. Il va même s’offrir quelques situations cocasses ou
embarrassantes, toujours sous la voix de Chozène, que ce soit avec des journalistes,
Elsa, Husson (jeu dangereux), Mona la maîtresse enfouie, Nathalie l’ex femme,
et même avec le propre père de Chozène, tout en avalant des sucreries à faire
pâlir une bonbonnière. « En fait, il
ne se contentait plus d’imiter Chozène, il développait son personnage ».
Les conversations de Baptiste vont faire
ressurgir le passé de Chozène, Baptiste commençant à devenir Chozène et s’ingéniant
à pousser le bouchon toujours plus loin. Or, c’est bien son propre passé qui va
finir par remonter à la surface, ce qui devient rapidement moins drôle.
Baptiste va même se prendre les pieds dans le tapis, va se tromper dans ses
voix, rendant la situation alarmante, surtout pour l’écrivain, jusqu’au décès
de papa Chozène…
Sans toutefois dévoiler l’intrigue, ce roman
est à plusieurs dimensions : la farce bien sûr, le jeu d’acteurs, un jeu
théâtral, des situations poussant Baptiste et Chozène à mentir sans vergogne
(l’une des « pattes » éditoriales de Quidam, l’éditeur du présent livre),
mais derrière est très visible la relation humaine sur les réseaux sociaux où
somme toute l’on se fait passer pour qui l’on n’est pas, où l’on exagère,
invente, où l’on peut entrer par de simples clics dans l’intimité d’autrui, où
l’on dialogue avec des inconnus en toute négligence, sans se douter que le pire
peut advenir.
Là, c’est Baptiste qui, dissimulé derrière
le téléphone, s’autorise des dérapages. Il va plus loin : il utilise la
notoriété de Chozène pour placer ses propres billes, quitte à entacher la
réputation du romancier que pourtant il admire. La farce tourne au vinaigre,
l’imitateur s’empêtre, comme l’on peut s’empêtrer sur les réseaux sociaux par
des contrevérités.
La langue est belle, choyée, précise,
chaloupée et juste, agrémentée d’un vocabulaire riche et varié. Roman
malicieux, drôle, pardon, très drôle voire burlesque, même s’il s’épaissit dans
les 70 dernières pages puisqu’il devient moins aisé de sourire devant une
situation virant au tragique. Ce Baptiste amuse, fait parfois pitié, finit par
révolter, agacer, lui cet imitateur au parcours un brin similaire à ces
artistes en fin de carrière flirtant avec des fans aux têtes de gondoles
d’hypermarchés de campagne, Baptiste qui justement souhaiterait devenir
populaire et profitera d’un contrat passé trop naïvement avec Chozène pour
prendre une place trop grande, trop étouffante même.
Ce roman moderne et difficile à lâcher est
celui de la facilité avec laquelle on peut se laisser emporter dans le monde où
tout va très vite derrière des écrans, où l’on peut abuser de supercheries, où
l’on ment. C’est le roman de la dérive par l’anonymat, la manipulation par le
numérique. Il est aussi celui d’un monde à l’agonie, avec ses références à la
collapsologie : « Peut-être la
proximité du grand effondrement ne permettait-elle plus les raffinements
dilatoires des conversations Grand Siècle. On causait entre sursitaires, la
coquetterie aristocratique était désormais supplée par la douce désinvolture
des naufragés ». Mais en toile de fond, ne serait-il pas autre
chose ? En effet, Chozène, ce Goncourt de la fin du XXe siècle, est
l’anagramme d’ECHENOZ, le célèbre écrivain français (Goncourt 1999). Et
BLANVILLAIN joue avec les mots, les scènes, comme ECHENOZ (qui avait par
ailleurs préfacé le précédent Quidam), parfois il écrit comme lui, on dirait
qu’il le singe (sans le sens péjoratif, plutôt avec un profond respect), ses
personnages sont construits comme des figures Echenoziennes, l’atmosphère n’a
rien à envier à celle du romancier des Editions de Minuit (la comparaison
s’arrête là, la trame étant différente). Alors, sans être du tout un plagiat,
ce roman peut être lu comme un hommage, voire une révérence à Jean ECHENOZ, et
ce n’est bien sûr pas nous qui nous en plaindrons. Première parution 2020 pour
Quidam qui réalise là une belle prouesse et propose un roman à la fois
divertissant et profond.
(Warren
Bismuth)
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