dimanche 19 janvier 2020

VERCORS « Le piège à loup »


En 1964 dans une bourgade de l’Yonne, un étranger disparaît puis réapparaît. Précisément dans une maison située en bordure de bois et habitée par la narratrice de 18 ans, son père marchand de bois et sa tante. L’étranger vient d’être découvert par deux chasseurs, il vient de se blesser dans un piège à loups, il est recueilli par la famille de la narratrice pour quelques jours.

Le père doit s’absenter, laissant non sans appréhension l’étranger sous son propre toit, en compagnie des deux femmes. Cet étranger se présente, dit s’appeler Julien Durand. Un dialogue s’opère entre lui et la narratrice. Elle a été élevée chez les Sœurs pendant 11 ans, puis son père l’a récupérée, cela fait désormais 7 ans qu’ils vivent ensemble, sans complicité et sans véritable amour. Julien et la narratrice possèdent un point commun : chacun a perdu sa mère. Quant au père de Julien, il a été dénoncé, arrêté, torturé et assassiné en pleine seconde guerre mondiale. Par qui ?

Cette novella (même s’il est noté « récit » sous le titre) écrite en octobre 1978 fut publiée en 1979. Il se pourrait fort que les parcours de la narratrice et de Julien soient mêlés. Dans un imbroglio âpre et fascinant, les deux personnages vont faire connaissance, se livrer des secrets, rapidement, avant que la tante ne vienne interrompre leur dialogue de manière brutale. Saurait-elle quelque chose à propos de la mort du père de Julien ? Saurait-elle qui l’a dénoncé ?

La trame du « Piège à loup » n’est pas sans rappeler la célèbre nouvelle de VERCORS « Le silence de la mer », récit qui l’a rendu célèbre, la première publication, alors clandestine, des éditions de Minuit que l’auteur avait co-fondé. Tout d’abord distants, deux jeunes protagonistes se domestiquent et finissent par se parler. L’action du « Silence de la mer » se déroulait en pleine deuxième guerre mondiale, presque au début, le sujet en était l’occupation allemande. Ici ce sont les destins français liés à cette guerre que l’auteur nous fait découvrir. En quelques dizaines de pages, VERCORS nous met à la renverse, par son écriture un peu vieille école mais diablement efficace. Là où « Le silence de la mer » restait dans les non-dits, « Le piège à loup » délivre ses mystères, ou plutôt ceux de la collaboration, là aussi dans un décor minimal et austère, expurgé de tous ses détails.

Ce « Piège à loup » n’est pas l’une des publications les plus connues de VERCORS, pourtant elle est bien plantée dans l’univers de l’écrivain, elle est sombre, rondement menée, sans fausse note et sans dialogues intempestifs. Elle est à la fois sobre et sombre, nous renvoyant à notre passé national, n’a pas pris une ride et résonne historiquement de manière assez particulière. Encore un récit de VERCORS à conseiller, on dirait que je le fais exprès. Mais lorsqu’on a un écrivain dans la peau, ce serait dommage de le garder par-devers soi.

(Warren Bismuth)

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