« Sylvia » est l'un de ces
ouvrages hybrides que l'on peine à classer dans un quelconque genre littéraire.
Tout à la fois autofiction et poésie en prose, Antoine WAUTERS sublime son
propos par une magnifique mise en page, et distille son propos paragraphe par
paragraphe. Quatre chapitres. Le premier sur le parcours et les souffrances de
Sylvia. Ici elle se confond avec le narrateur/auteur dans une double
biographie.
« Sylvia » se caractérise par son
titre, en hommage à Sylvia PLATH, fabuleuse poétesse (mais aussi romancière et
essayiste) qui connut une fin tragique en se suicidant en 1963 à 30 ans.
Antoine WAUTERS la cite à de nombreuses reprises tout au long des 83 courtes
pages de son récit. Un récit vite avalé mais sur lequel on revient sans cesse,
par amour des mots, des figures et de la finesse de ses descriptions. La
réalité crue teintée de pudeur.
Antoine WAUTERS choisit de revenir sur
l'histoire de ses grands-pères, ou plutôt sur l'histoire de leur mort et des
sentiments contradictoires avec lesquels il a dû composer. L'ouvrage se
décompose donc en quatre parties : « Maintenant que vous êtes nus »,
« Charles », « Armand », « Malgré que
je ne vous touche plus.»
Chapitre 2 : Charles (1924/2009), l’un
des grands-pères du narrateur, frappé de la maladie d’Alzheimer, fin de vie
épouvantable, placé en institut spécialisé par sa femme Andrée, que d’ailleurs
il ne reconnaît pas. De cet institut il s’échappe dans une étourdissante
descente aux enfers, des pages poignantes et sublimes.
Cette organisation donne un aspect
circulaire à l'ouvrage, on y retrouve cette phrase « Sylvia. Arquée
comme petite » (en introduction et en conclusion). En effet, ce sont les
vers de la poétesse qui accompagnent le récit de WAUTERS, qui inspirent même
les récits qui sont faits. Mots dans lesquels il trouve la force de raconter
l'indicible : la mort, la dégradation lente de l'enveloppe corporelle,
l'esprit qui ploie comme une vieille branche et qui finit par rompre. Alzheimer
est décrite de manière absolument incroyable, le lâcher-prise de l'individu qui
a choisi de mourir aussi. Cela questionne énormément sur la prise en charge de
la fin de vie, sur la manière de respecter l'envie de celle ou de celui qui
décide consciemment que son passage parmi les vivant-es a déjà trop duré.
Chapitre 3 : Armand, l’autre
grand-père, mourant lui aussi. Douleur du narrateur : « Et chaque mot que j’écris – qui me maintient
en vie et dans le même temps m’éloigne de la vie – me rapproche de vous. De toi
Charles et de ton corps Armand, maintenant plus mince qu’un ballot de paille,
un corps de petite fille ou la moitié du mien, corps vivant qui reste là :
à moitié inconscient, flottant et flou, perdu et sans mémoire comme sont perdus
et sans mémoire tes propres personnages, Sylvia ».
Antoine WAUTERS a subi ces deux pertes en
peu de temps : huit mois se sont écoulés entre le décès de Charles
(grand-père paternel) et celui d'Armand (grand-père maternel). Chacune de ces
pertes feront l'objet d'un chapitre indépendant.
Chapitre 4, très bref. 2014, naissance de
Sélim, enfant du narrateur, qui peut-être remplacera les défunts dans son cœur
éprouvé.
Un court roman hanté par la mort, où une
inconnue du narrateur vient s’inviter au chevet de ses proches, celle qu’il a
pourtant tant aimé par ses phrases, ses poèmes et sa vie gâchée. L'ouvrage est
tellement court que nous ne pouvons en raconter quoi que ce soit sans en gâcher
le plaisir de la découverte. Il faut en retenir, mais c'est d'usage chez
Antoine WAUTERS (nous vous invitons à lire les précédentes chroniques
consacrées à cet auteur), la finesse de ses analyses, la justesse de ses
descriptions, la pudeur mais aussi la violence qui habitent chacune de ses
phrases.
L'universalité du propos est sans doute ce
qui touche le plus, encore une fois, c'est une caractéristique que nous
retrouvons jusqu'à présent dans ses écrits, chacun-e d'entre nous à quelque
chose à y trouver et les mots résonnent, font écho.
Un magnifique ouvrage servit par un éditeur
excellent, qui nous livre là un bijou d'esthétisme tant par le fond que par la
forme.
(Emilia
Sancti & Warren Bismuth)
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