Cette biographie n’en est pas tout à fait
une, en tout cas pas tout à fait sur une seule personne, malgré son titre. Une
petite introduction s’impose : Nadejda MANDELSTAM, femme puis veuve du
poète russe Ossip MALNDELSTAM, mort d’épuisement en 1938 quelque part du côté
d’un camp de transit de la Kolyma. Anna AKHMATOVA, célèbre poétesse, amie
d’Ossip donc par ricochets de Nadejda. Par conséquent l’auteure de cette
biographie sur Anna AKHMATOVA y voit beaucoup son mari Ossip, l’évoque, puis
dirige sa plume vers lui, comme sans même s’en rendre compte, aimantée.
Anna AKHMATOVA est née GORENKO et prendra
son pseudo en hommage à son arrière grand-mère. Alors qu’elle s’initie à la
poésie, la Russie s’empare d’un nouveau destin. AKHMATOVA va souffrir plus
qu’il n’est possible. Premier mari, le poète GOUMILIOV, fusillé en 1921 (ils
avaient divorcé en 1918), le troisième mort dans les camps staliniens, le fils
arrêté trois fois. Et bien sûr, l’un de ses plus proches amis, MANDELSTAM, mort
en transit. Comme si ce n’était pas assez lourd, AKHMATOVA se voit interdite de
publication à partir de 1924, pendant une vingtaine d’années, puis autorisée de
nouveau à faire paraître ses poèmes en 1940, mais uniquement partiellement. Les
mots sont une arme, ceux d’AKHMATOVA paraissent trop aiguillés aux yeux des
autorités. Elle ne sera éditée que cinq fois de son vivant.
Ossip MANDELSTAM, poète. Arrêté en 1934 pour
son poème coup de poing « Épigramme contre Staline » de 1933, mari de
Nadejda, ami d’Anna, déporté, mort en 1938 après 20 ans de vie commune avec
Nadejda. Cette dernière est attirée par les souvenirs et les mots qui en
découlent. Sa propre silhouette s’immisce entre Ossip et Anna, de fait nous
avons une sorte de triple biographie où la mémoire se mélange. N’oublions pas
que Nadejda fut la principale passeuse des poèmes de son mari, que lorsqu’il
était interdit d’écrire, c’est elle qui apprenait ses poèmes par cœur pour
ensuite les partager avec des proches puis avec des éditeurs pour notamment les
faire publier en samizdats.
Et puis tout à coup, le visage d’Anna
AKHMATOVA semble changer aux yeux de Nadejda MANDELSTAM (la raison en est
expliquée en postface de l‘ouvrage). Elle la juge sévèrement :
autoritaire, égocentrique, jalouse, maladivement portée sur ce que sa personne
peut dégager en public, toujours dans l’attente du malheur. Pourtant,
visiblement, le portrait est bien plus édulcoré qu’un autre que dressera
Nadejda et lisible dans « Contre tout espoir » (trois tomes en tout).
AKHMATOVA va vivre dans le dénouement, le manque, de manière pauvre, étriquée.
En même temps, ce récit est beaucoup axé sur
la poésie, plus précisément de techniques de poésie, celles des deux personnes
déjà évoquées bien sûr, mais aussi d’autres poètes, puis évocations des
courants de pensée, comme les acméistes auxquels appartenaient AKHMATOVA et
MANDELSTAM. Des poètes arrêtés, condamnés, exécutés, il en est question. Au XXe
siècle, le destin des poètes russes semble avoir été lié à une perpétuelle épée
de Damoclès au-dessus de la tête.
Et enfin, l’Histoire en marche, avec le
dégel à partir de 1956, le communisme qui semble prendre un visage humain,
laissant quelque répit aux poètes persécutés. Le livre est écrit en 1966, juste
au moment où les exactions reprennent, il n’en sera donc pas fait état dans ce
récit.
Cette biographie, c’est tout cela brodé
ensemble dans un seul tissu, un ouvrage fait de souvenirs, souvent durs, avec
en fond l’ombre à la fois planante et enracinée d’Ossip MANDELSTAM. La traduction
et l’excellente préface sont assurées comme toujours sans accrocs par Sophie
BENECH, la courte postface signée Pavel NERLER. C’est sorti fin 2019 aux
éditions Le bruit du temps en version poche pour une somme modique.
(Warren
Bismuth)
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