(Le texte qui suit fut édité le 19 mars
dans la collection Tracts de crise chez
Gallimard.
Offert en période de confinement)
*
Lorsqu’on
vit des situations exceptionnelles, la première peur concerne le maintien de la
vie. Le réel de la mort du coronavirus existe mais il est faible, et semble
submersible. Je n’ose imaginer la sidération et la violence, le grand retour
des archaïsmes, si la létalité avait été plus forte et disséminée.
Impossible
d’anticiper cela sauf en imaginant le pire, la peur véritable, la haine pour ce
monde. Là, nous avons une forme de chance au sens où si nous acceptons la
responsabilité collective et la discipline, si nous produisons un comportement
collectif coordonné et stratégique, nous réduirons considérablement son impact
délétère. Telle est notre chance : avoir encore un peu de maîtrise. S’offrir
une occasion à moindre coût de redécouvrir les bienfaits de la solidarité, des
services publics, de l’État de droit et social combinés, articulés, alliés de
toujours, qui ne sont rien l’un sans l’autre. Extrême chance malgré
l’ingratitude souvent témoignée ces derniers temps, la bêtise, la vue courte
des stratégies néolibérales qui fantasment la toute-puissance illusoire de
l’homo economicus dans sa version la plus radicale. C’est une répétition
générale pour autre chose, et cela me glace déjà le sang. Car la deuxième
crainte qui m’agite est celle de l’absence d’apprentissage et de transformation
de nos modes de vie. Passer à côté de la chance, cela s’est vu tant de fois. Ne
pas saisir le kairos, retourner à la condescendance meurtrière. Nous sommes
nombreux à le craindre, mais il nous faudra être très vigilants face à
l’endormissement futur qui se profile, toutes les mauvaises raisons trouvées pour
continuer comme avant, car nous serons dans une phase de récession économique
et l’on nous expliquera qu’il n’est pas temps encore de faire autrement, qu’il
y a le feu économique qu’il faut éteindre, et que celui-ci – ô délire – ne
s’éteint qu’avec le poison inflammable, tant de fois dénoncé. Mais parions sur
l’intelligence et la détermination à évoluer, parions sur une nouvelle
conviction partagée : mieux vivre ensemble. Le confinement 3.0 a des vertus
particulières : être dans la distance mais néanmoins connectés, et pour une
fois les « deux minutes de la haine » orwelliennes, souvent banalisées ces
derniers temps, se sont calmées : les voix sont plus sereines, les réseaux
sociaux servent à distribuer une information capable de ferrailler avec les fausses,
les grandes institutions académiques tentent d’assurer la continuité ou le
partage des enseignements, les médias font de même, les artistes se relaient
pour proposer des accès culturels, l’école fait comme elle peut avec la
faiblesse de son environnement numérique de travail – là, franchement, on ne va
pas se mentir, va falloir monter vite en gamme, car c’est terriblement pauvre,
et cela ne peut perdurer. Mais globalement, ces premiers jours de confinement
ne dessinent pas la victoire de l’immaturité, mais plutôt l’envie d’être
résilients, d’apprendre, d’innover, de profiter de cette chance pour respecter
autrui et les valeurs de responsabilité commune. Toute la question, maintenant,
est celle de la durabilité de la prise de conscience et de la volonté de faire
autrement.
CYNTHIA FLEURY
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