samedi 28 mars 2020

Cynthia FLEURY « Répétition générale »


(Le texte qui suit fut édité le 19 mars
dans la collection Tracts de crise chez Gallimard.
Offert en période de confinement)

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Lorsqu’on vit des situations exceptionnelles, la première peur concerne le maintien de la vie. Le réel de la mort du coronavirus existe mais il est faible, et semble submersible. Je n’ose imaginer la sidération et la violence, le grand retour des archaïsmes, si la létalité avait été plus forte et disséminée.

Impossible d’anticiper cela sauf en imaginant le pire, la peur véritable, la haine pour ce monde. Là, nous avons une forme de chance au sens où si nous acceptons la responsabilité collective et la discipline, si nous produisons un comportement collectif coordonné et stratégique, nous réduirons considérablement son impact délétère. Telle est notre chance : avoir encore un peu de maîtrise. S’offrir une occasion à moindre coût de redécouvrir les bienfaits de la solidarité, des services publics, de l’État de droit et social combinés, articulés, alliés de toujours, qui ne sont rien l’un sans l’autre. Extrême chance malgré l’ingratitude souvent témoignée ces derniers temps, la bêtise, la vue courte des stratégies néolibérales qui fantasment la toute-puissance illusoire de l’homo economicus dans sa version la plus radicale. C’est une répétition générale pour autre chose, et cela me glace déjà le sang. Car la deuxième crainte qui m’agite est celle de l’absence d’apprentissage et de transformation de nos modes de vie. Passer à côté de la chance, cela s’est vu tant de fois. Ne pas saisir le kairos, retourner à la condescendance meurtrière. Nous sommes nombreux à le craindre, mais il nous faudra être très vigilants face à l’endormissement futur qui se profile, toutes les mauvaises raisons trouvées pour continuer comme avant, car nous serons dans une phase de récession économique et l’on nous expliquera qu’il n’est pas temps encore de faire autrement, qu’il y a le feu économique qu’il faut éteindre, et que celui-ci – ô délire – ne s’éteint qu’avec le poison inflammable, tant de fois dénoncé. Mais parions sur l’intelligence et la détermination à évoluer, parions sur une nouvelle conviction partagée : mieux vivre ensemble. Le confinement 3.0 a des vertus particulières : être dans la distance mais néanmoins connectés, et pour une fois les « deux minutes de la haine » orwelliennes, souvent banalisées ces derniers temps, se sont calmées : les voix sont plus sereines, les réseaux sociaux servent à distribuer une information capable de ferrailler avec les fausses, les grandes institutions académiques tentent d’assurer la continuité ou le partage des enseignements, les médias font de même, les artistes se relaient pour proposer des accès culturels, l’école fait comme elle peut avec la faiblesse de son environnement numérique de travail – là, franchement, on ne va pas se mentir, va falloir monter vite en gamme, car c’est terriblement pauvre, et cela ne peut perdurer. Mais globalement, ces premiers jours de confinement ne dessinent pas la victoire de l’immaturité, mais plutôt l’envie d’être résilients, d’apprendre, d’innover, de profiter de cette chance pour respecter autrui et les valeurs de responsabilité commune. Toute la question, maintenant, est celle de la durabilité de la prise de conscience et de la volonté de faire autrement.

CYNTHIA FLEURY

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