« Nageur de rivière » fait partie de ces huit recueils de novellas qu’a fait paraître Jim HARRISON. Il est aussi l’un des deux seuls où ne figure pas son héros récurrent Chien Brun (le premier était le recueil « Légendes d’automne »). Il est enfin l’unique dans lequel n’apparaissent que deux novellas (tous les autres recueils en comportent trois). Ces deux textes sont sortis en 2014.
« Au pays du sans-pareil » qui se lit comme un roman (et en possède d’ailleurs le format) met en scène Clive, 60 ans, divorcé d’avec sa femme Tessa depuis 20 ans. C’est à cette même époque qu’il a arrêté de peindre, est devenu enseignant. Il retourne dans le Michigan de son enfance afin de s’occuper de sa vieille mère seule de 85 ans, ornithologue amatrice. Avec Tessa, il a eu une fille, Sabrina, aujourd’hui bien plus riche que lui. Sur les terres de sa jeunesse, il revoit Laurette, un flirt d’adolescence et lui propose de peindre son portrait en déshabillé, ce qui l’encouragerait à se remettre à la peinture. Laurette est cependant en couple avec une certaine Lydia dont le charme et les manières naturelles ne sont pas pour déplaire à Clive.
Dans ce récit, le héros, entouré uniquement de filles et femmes, va voir passer ses souvenirs, les meilleurs comme les plus sombres, mais toujours racontés avec un humour hors du commun par ce grand conteur qu’était Jim HARRISON. Une fois n’est pas coutume, nous assistons à une « happy end », mais pas nunuche.
« Nageur de rivière » est sans nul doute l’un des plus beaux textes écrit par Big Jim. Bien plus court que le précédent, son personnage principal en est Thad, un jeune homme de 18 ans, sang mêlé et idéaliste. Il est ami avec Laurie, mais le père de cette dernière est un être répugnant, violent et autoritaire qui ne veut pas qu’un homme comme Thad tourne autour de sa fille. Il le frappe durement, Thad doit s’enfuir et décide de rejoindre Chicago à la nage.
Car Thad est un amateur passionné de rivières et d’étendues d’eau : il nage comme un poisson, à une vitesse prodigieuse, sans toutefois faire état de volonté de compétition ni de records. L’eau est sa deuxième maison (parfois sa première). « Lorsque nous sommes plongés dans une extrême solitude, nous ne connaissons plus rien de la vie ni de la mort, et la réalité de l’eau nous réconforte ». Dans l’étang près de chez lui, il observe régulièrement et avec amour ce qu’il appelle « les bébés aquatiques », de petites truites qui le fascinent.
Il va se rapprocher d’Emily qui croit en lui, lui le messager de la paix, opposé à l’absurdité de la violence. « Qui sait pourquoi les hommes deviennent des brutes ? Cela commence sans doute très jeune. (…) Il existe évidemment des filles brutales, mais moins que des garçons ». Ensemble ils voyagent jusqu’en France, c’est là-bas qu’un drame se produit…
De nombreuses péripéties vont émailler le récit, drôle mais sobre. Thad est l’une de ces figures littéraires qui marquent la littérature. En un sens, il n’est pas si loin du prince Mychkine, « L’idiot » de DOSTOIEVSKI (qu’HARRISON vénérait). Ce texte est aussi fort que court, il est l’un des chefs d’oeuvres du maître conteur. Si vous n’avez encore jamais pratiqué HARRISON, ce recueil est sans aucun doute le moyen parfait pour le découvrir : tendresse, humour, grâce, anecdotes et surtout personnages puissamment charpentés. Il est beaucoup moins politiquement incorrect que le reste des œuvres d’HARRISON, qui l’a écrit alors qu’il avait environ 75 ans et se dirigeait vers l’hiver de sa vie avec une lucidité déconcertante, d’où peut-être ces portraits touchants, qui débordent beaucoup moins qu’à l’accoutumée, et qui pour tout dire devraient être étudiés en classe tellement ils sont beaux et simples. Un immense cadeau que nous a fait Jim quelques années avant sa mort.
(Warren Bismuth)
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