vendredi 9 octobre 2020

Jean GIONO « Le déserteur »


 

Pour commémorer les 50 ans de la disparition de Jean GIONO (date qui tombe le jour de cette chronique, on n’est jamais trop précis), il fallait marquer le coup voire les esprits avec un texte qui fait date. Ce texte, c’est « Le déserteur ». L’action, ou plutôt l’absence d’action se situe dans le Valais, canton du sud de la Suisse, vers 1850, du côté du bourg de Nendaz, proche du chef-lieu Sion. Absence d’action car le héros (il s’agit d’un vrai héros, c’est-à-dire qu’il n’a rien fait pour l’être) est un oisif, un contemplatif.

De cet homme on ne sait pas grand-chose : son passé semble avoir été effacé. Nous allons apprendre qu’il se nomme Charles-Frédéric BRUN, artiste peintre sans doute français. Sans doute, car il ne possède aucun papier. Il est surnommé Le Déserteur, parce qu’il semble s’être enfui de la vie sociale. Il est une sorte de figure réelle du Jean Valjean d’HUGO, un traîne-savate qui a sans doute mal agi par le passé, qui a possiblement un CV de brigand long comme le bras. Vagabond sans biens ni toit, il dort sur la paille, à son gré, et refuse les invitations des autochtones.

« Comme tous les vrais misérables, ceux qui ne le sont pas par occasion mais par destination, il fuit la police parce qu’il n’a pas de papiers, parce qu’il est sûr d’avoir tort ; il n’est à son aise que caché et chez les humbles, chez ceux qui n’ont pas un très long chemin spirituel à faire pour le comprendre. La ville (de 1850), la bourgeoisie (de la même époque) ne conviennent pas aux misérables. On les fourre en prison ou dans des hospices pires que la prison ; de toute façon on les bouscule ».

Il peint le visage d’une femme, et le village finit par l’accepter. Car il est peintre et même adroit de son pinceau. S’ensuivent de longues listes de tableaux effectués tout au long de sa carrière. Et la patte de GIONO, qui décrit, expose les paysages du Valais  d’une manière poétique, fine et sensuelle. Sans doute aussi parce qu’il admire son Charles-Frédéric ! D’autant que cet homme a existé, et que GIONO en dresse un portrait, une biographie imaginative à défaut d’être imaginaire. Ce Déserteur ressemble à ces gens sans attaches ni racines ni frontières, libres comme le vent, ceux que l’on n’ose pas être car il faut être drôlement fort pour être libre.

Évocation quasi mystique d’un homme qui a mis la valeur de la vie avant celle de l’ambition, il quittera ce monde en 1871, toujours au fond de la vallée valaisanne. Un portrait dont on se souvient, l’un de ceux qui donnent de la force et du courage. Écrit en 1966, quatre ans avant la mort de l’auteur, une force presque surnaturelle en ressort.

Le présent livre est un recueil et trois autres textes le complètent. « La pierre », où GIONO, en adorateur du minéral, l’observe et l’explique, le fait vivre, semble le modeler. Lors d’une mission spéléologique dans le cadre d’une chasse aux papillons, il apprendra beaucoup de la pierre, il lui sera comme soumis. Puis c’est le temps des longs voyages aux longs cours, ou là-bas encore la pierre est visible, omniprésente et indomptable. Des îles, des odes, des églises, architecture pierreuse italienne au diapason. Texte écrit en 1955.

« Arcadie… Arcadie... » est une promenade autour de Manosque, la ville adorée de GIONO, texte écrit en 1953. Les paysages provençaux, mais aussi la vie d’antan, les souvenirs de jeunesse, la cueillette des olives où l’odeur des oliviers semble jaillir à chaque page. Un GIONO rétif au progrès mais pas à l’amitié, adversaire de poissonneries industrielles, songeur aussi. « C’est quand on prend les hommes au sérieux que les bêtises commencent ».

Le dernier texte de ce recueil est aussi le plus court. « Le Grand Théâtre » fut écrit en 1961, il est un monologue du Père, entre mythologie et réalité, portrait de l’oncle du jeune Jean GIONO, cet oncle Eugène déjà sourd, qui ne va plus tarder à devenir presque aveugle. Les modes de perception évoluent, se déplacent dans un espace sensoriel selon le père. Un père qui admire les étoiles et les galaxies, en explique le fonctionnement à son fils, cette notion du temps tellement subjective.

Bien sûr mon coeur va du côté de ce « Déserteur » que nous aimerions toutes et tous rencontrer voire devenir, mais ce recueil est dans l’ensemble du très bon GIONO, varié et solide.

(Warren Bismuth)

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