dimanche 11 octobre 2020

Raymond PENBLANC : Trois premiers romans

 


Une longue chronique-recueil pour achever le cycle consacré à Raymond PENBLANC, regroupant ses trois premiers romans, tous sortis aux Presses de la Renaissance aux débuts des années 1990. Si les scénarios sont très éloignés les uns des autres, il n’en est pas de même de l’ambiance générale, de l’écriture ou des thèmes.


 


« L’âge de pierre » (1990)

 

Après un préambule qui scie réellement à la base, place au contexte. Thomas est un jeune peintre de 20 ans tout juste sorti des Beaux-Arts, sans vraiment d’imagination artistique. Dans une ville du sud-est de la France, il s’attaque aux palissades pour les décorer, en y reproduisant des fresques. La prochaine sera « Le jardin des délices » de Jérôme BOSCH. Thomas est un vagabond de nuit qui hante les quartiers pour y réaliser des œuvres. Ils s’aimaient avec Léa, une guitariste, des rues comme lui. Mais Léa a disparu.

 

Dans la ville sévit une espèce de milice anti-dégradation, des chiens prêts à mordre en toute occasion. Des travaux de destruction/reconstruction sont en cours ? Des palissades provisoires assurent la sécurité du périmètre ? Elles sont destinées à être prochainement détruites ? Peu importe, certains veulent qu’elles restent propres, non souillées de peinture. Thomas va se faire passer à tabac, puis errer dans les rues de la ville, à la recherche d’autres « toiles » dans des quartiers moins sensibles.

 

Il va faire la rencontre d’autres figures errantes, lui et sa carriole renfermant ses outils de travail, charrette bringuebalante qu’il pousse d’un point à l’autre de la ville, ce véhicule primaire va servir à un bien curieux déménagement. Quant à son propriétaire, il va faire la connaissance de Malika, elle va le faire chavirer, il va tenter de la kidnapper en plein hiver, à l’approche de Noël, mais les milices en forme de meutes guettent, alors qu’une mobilisation de jeunes habitants se met en place pour sauvegarder les peintures murales de Thomas et protéger les palissades…

 

Roman noir, urbain, bétonné, il est celui de l’art des rues, qui se gagne en tendant la main afin d’y percevoir des piécettes servant à croûter. Il met en avant un thème notamment souvent traité par Orson WELLES : celui de l’art en tant qu’invention ou plagiat, création ou copie, génie ou véritable pillage organisé par des faussaires. Enfin il est le roman d’une fin d’époque : les palissades sont les gardiennes des chantiers en construction desquels va éclore un nouveau quartier, un nouveau monde en forme de complexe immobilier, ces palissades sont le chaînon entre ces deux univers, ce lien que Thomas veut décorer, pour un temps court.

 

« Fallait-il proposer la béatification des statues ? Envisager l’édification d’un nouveau monument aux morts ? AUX ARTISTES MECONNUS LA PATRIE RECONNAISSANTE… Ou plus humblement faire le tour des antiquaires, des ferrailleurs ? ».

 

Le roman regorge de références artistiques ou techniques sur la peinture, il est également empreint d’évocations mythologiques, sans doute motivées par ces chiens, ces cerbères gardiens des Enfers. Roman riche à explorer. Je n’oublie pas les aspects érotiques, sexuels, sensuels ou charnels de l’ouvrage : « Elle s’habilla. Elle avait froid. Elle n’était pas très rassurée non plus. Elle marcha un peu, fit quelques pas en direction de la brèche où il la rejoignit. Penchée en avant elle lui offrait la coupe pleine de ses fesses et il émit un petit rire bref, imagina qu’il descendait en elle où toute l’obscurité du monde se serait confondue, et que, la poussant ainsi contre son ventre, ils redonnaient naissance à quelque animal fabuleux montant la garde à l’entrée des Enfers ».

 




« La main du diable » (1991)

 

Un roman en tous points flambant ! Fane est un type plutôt tranquille, qui s’assied régulièrement sur un bord de falaise de Marseille afin d’admirer le paysage, les bateaux, et peindre tout ce beau monde, se munissant de jumelles afin de mieux pouvoir détailler ce qu’il voit. Il est abordé par un certain Rigal, homme intrigant (« Je suis devenu sous-marin. J’avais de quoi torpiller ») qui lui propose une petite mission : espionner le bateau Le Propiétorsk et toute la gare maritime de la ville pour la compagnie Sol Leck. Ce qu’accepte Fane.

 

Sol Leck est le patron de l’entreprise, lui aussi mystérieux, œil de verre et taiseux. La jovialité n’est pas précisément dans son répertoire. Fane entreprend son travail, toujours muni de ses jumelles. Ce qu’il voit dans leur prisme le terrifie : un homme, Smirnoff, va être assassiné. Ce Smirnoff pourrait bien avoir été un espion communiste à la solde de la Russie, affaire délicate. Fane se rend aux funérailles.

 

Parallèlement il va s’encanailler avec la jeune Neï-Sham, femme asiatique avec qui il passe du bon temps et oublie en partie ses turpitudes, même si cette liaison est mal vue par le dénommé Sol Leck, ce gus qui s’ébaudit sur des pornos lesbiens.

 

Arrive un journaliste d’investigation, Hector Bruma (hommage appuyé au détective privé Nestor Burma créé par Léo MALET), un fouille-merde qui ridiculise la police dans ses articles. « La vie, la vie tout court, déclara-t-il à Fane, y compris celle des grands de ce monde, n’est évidemment ni toute rose ni toute noire, les gens évoluent dans une certaine grisaille, et la vérité elle-même, qu’on prétend toute nue, se cache bien souvent derrière des pans de brume, d’où mon nom ».

 

Explosion à bord du Propiétorsk en mer Baltique, trois morts. D’autres déflagrations vont suivre, sur d’autres bateaux, l’affaire se complexifie, ramifications des pays d’Europe de l’est de plus en plus probables. Puis va apparaître Zörn, encore une figure mystérieuse et fatale…

 

Roman noir et même véritable thriller, « La main du diable » offre une vraie tension psychologique. Savant mélange de polar en hommage à la vieille garde française, d’histoires d’amour, d’intrigues soutenues grâce à des personnages mystérieux et fort bien campés, sans oublier bien sûr cette écriture pure et poétique, mais tendue elle aussi. Langue riche et variée, dense, faite de variations lentes et maîtrisées avec des dialogues parfois imbriqués dans la narration, elle propulse l’intrigue en tenant le lectorat en haleine et, comme les protagonistes du roman, est perpétuellement aux abois.

 

« L’absence d’éclairage permettait d’appréhender le ciel, un grand ciel froid piqué d’étoiles, dont l’immensité ne lui avait jamais paru telle, ni aussi vide, aussi lointaine. Si, dans le fait de s’engager ce soir-là au cœur du terrain vague, on pouvait voir s’exprimer un obscur désir de fusion, la froideur de ce ciel nu perçu dans son immensité devenait trop écrasante pour ne pas faire apparaître que la boue de l’ornière était la même que celle qui colle aux semelles dans les allées des cimetières quand l’ouverture d’une tombe l’expose en monticules gras ».

 




« Miroir des aigles » (1993)

 

Sur les hauteurs d’Aix-en-Provence travaille Romain, 40 ans. Aux Eaux et Forêts il veille à ce qu’aucun départ de feu ne soit à déplorer, le temps est chaud et sec, un incendie pouvant se déclencher à tout moment. Romain prospecte notamment sur son lieu de prédilection, la montagne Sainte-Victoire, souvent peinte par Paul CEZANNE. Inquiétude de voir tout s’embraser, sans pouvoir intervenir ni prévenir. Romain est un protecteur de la nature qui cherche à être utile, aussi il plante des conifères.

 

Sur son chemin il rencontre David et Else (Elsa), couple franco-britannique de fraîche date, des touristes ayant décidé de dormir à la belle étoile, du moins dans une grotte. Entre un Romain péremptoire, un brin encyclopédique et un David jaloux de « sa » Else, le courant ne passe pas. Ils se provoquent, se défient, devant une Else quelque peu médusée. Romain au volant de sa 4L, David au guidon de son vélo. La tension va monter…

 

Un roman explorant l’Art sous toutes ces formes, de la peinture à la musique, cette dernière représentée par la silhouette (le fantasme) d’une organiste d’église pour laquelle Romain en pince, organiste qu’il va finir par rencontrer. Les églises sont très présentes pour une visite architecturale, sensuelle là aussi. La plume est alerte et poétique tout en sachant se faire violente. Et puis il y a ces trois immigrés travaillant aux espaces verts, à la protection des zones potentiellement inflammables. Un drame se joue sur fond de racisme et de préjugés.

 

Roman qui pourrait être qualifié de Zolaien, et pas seulement pour l’aspect géographique (n’oublions pas qu’Aix est le berceau de la magistrale saga en vingt volumes des Rougon-Macquart), avec les hommages discrets à CEZANNE il en devient un au monde de ZOLA. Quant au personnage central, Romain, il peut être vu comme une figure incapable d’aimer, toujours en confrontation avec son image : « Il avait aimé Marianne en raison de cela, il l’avait aimée d’être ce qu’il avait toujours espéré qu’elle serait. Peut-être ne voyait-il en elle que son propre reflet ? Peut-être lui attribuait-il sa propre énigme ? Elle aussi avait dû le penser ». Romain se trouve présentement empêtré dans une sorte de danse du ventre maladroite pour séduire Else, bien qu’elle paraisse sensible à ces charmes et efforts.

 

Raymond PENBLANC est un écrivain qui dépeint la nature de manière époustouflante, et c’en devient ici la force principale du roman : « Entre le lac du Bimont et le barrage Zola, l’eau échappée du bassin de déversion dégringole dans une gouttière étroite avant d’infléchir sa course quelque sept cents à huit cents mètres plus bas, faisant éclore, avec cette double haie de feuillages, aulnes, saules, peupliers encore jeunes, une surprenante, une miraculeuse petite Arcadie. En haut l’éclair, le glaive d’eau. En bas l’épanchement, le fouillis doux sous les ombrages. En haut la part masculine, en bas la féminine. Ensuite, apaisé, on pénètre dans l’eau verte, très lourde et comme mélangée à du lait, du barrage, on foule une glaise tendre, chaude comme une langue, on peut aussi nager quelques brasses et revenir, ou alors, plus difficile, choisir d’accoster au pied de ces falaises de pourtour, assez joliment escarpées ».

 

N’omettons pas l’humour, soigneusement distillé. Il n’en sera cependant plus question dans les dernières pages, tragiques et clôturant sombrement un roman naturaliste à l’intrigue minimaliste mais prenante.

 

Je vous dois ici une confession en forme d’épilogue et de coïncidence : j’ai ouvert les premières pages de ce roman alors que je me trouvais dans un hôtel dans le cadre de mes activités professionnelles. Lorsque je découvris le nom de la montagne Sainte-Victoire dès le début du récit, soucieux de connaître le lieu de l’action, je m’informai sur la Toile. Ironie de l’histoire, j’étais ce soir-là client d’un hôtel situé… à Aix-en-Provence. Il n’y a pas de hasards… C’est sur cette image d’un hôtel que se termine le cycle consacré à Raymond PENBLANC.

(Warren Bismuth 

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LE MOT DE L'AUTEUR

Les 3 romans des Presses de la Renaissance

S’ils m’ont valu quelques critiques dans les journaux, ces 3 romans m’ont surtout permis de découvrir les studios et le personnel de France Culture à travers 3 émissions littéraires. « Agora » pour l’Age de Pierre en septembre 1990, « Panorama » pour La Main du diable en septembre 1991, « Un livre, des Voix » pour chacun des 3 romans.

Créée par Gilles Lapouge, programmée entre 19h et 19h 30, « Agora » a lieu en direct. Il s’agit d’un échange entre le producteur-animateur (à l’époque Olivier Germain-Thomas) et l’auteur. Expérience excitante et quelque peu risquée, sans fard et sans temps mort, à laquelle j’ai pris un très vif plaisir.

Créé en 1968, « Panorama » est le magazine culturel du journal de la mi-journée. On y commente les publications récentes, après une courte présentation de leurs ouvrages par les auteurs eux-mêmes. Il se trouve que pour La Main du Diable j’ai été reçu et interviewé par Michel Bydlowski, qui se suicidera 7 ans plus tard, suite à un conflit avec la nouvelle direction de l’émission, suicide qui mettra un terme à cette émission.

Diffusée en début d’après-midi et produite en ces années 1990 par Claude Mourthé, « Un Livre, des Voix » conjugue interview de l’auteur et lecture d’extraits du livre par un comédien (j’ai gardé en mémoire la voix étrange et puissante de Jean-Quentin Châtelain vampirisant littéralement le prologue de L’Age de Pierre).

Pour écrire chacun de ces romans j’ai bien sûr eu besoin d’un élément déclencheur, cet élément déclencheur devenant à son tour le centre de gravité du livre. Pour l’Age de Pierre il s’agit du panneau central du célèbre Jardin des Délices de Jérôme Bosch. Pour La Main du Diable, c’est le port de Marseille, et en particulier la fameuse Digue du Large (7 kms), arpentée chaque dimanche, sorte de fil de funambule où mes personnages convergent eux aussi et s’affrontent. Miroir des Aigles, enfin, a pour décor la montagne Sainte-Victoire, dont la blancheur lumineuse n’est pas sans m’évoquer le Graal - avec en point d’orgue le tragique incendie d’août 1989 qui en détruisit 5000 hectares.

Raymond PENBLANC octobre 2020

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