mardi 8 décembre 2020

Christian GAILLY « L’incident »

 


Une dame, Marguerite Muir, se promène avec son sac à main, quoi de plus normal. Mais on le lui vole. Le portefeuille est retrouvé dans un parking par Georges Palet. Qui prévient la police. Qui elle prévient Marguerite. Qui prend contact avec Georges. On pourrait dire « voilà c’est tout ». Sauf que non. Marguerite va vouloir se rapprocher de Georges, pour qui c’est niet, enfin de moins de moins, puis plus du tout. Georges va crever les pneus de l’automobile de Marguerite. Les quatre, comme ça pour voir. Et la femme de Georges encourage ce dernier à devenir ami avec Marguerite.

Marguerite n’est pas garagiste mais dentiste. Elle aime aussi s’envoyer en l’air. En avion. Parce que le vrai sujet du roman est l’aviation. En tout cas c’est le sujet qui lie les protagonistes. Qui tous bien sûr s’aiment d’amour et d’eau fraîche. « On pourrait se tutoyer, depuis le temps, dit Jean-Mi. Je préfère pas, dit Georges, si ça vous gêne pas, ça vous gêne ? Oh non, non, dit Jean-Mi, je disais ça comme ça. Se tutoyer pour se dire quoi ? Reprit Georges. Il regardait le Jean-Mi avec des yeux, un air, fallait voir. Non mais c’est vrai, dit-il, pour se dire quoi ? On est très bien comme ça, non ? Vous ne trouvez pas ? Allez, buvez quelque chose avec moi ». Voilà voilà.

Ce livre peut être jubilatoire comme énervant, et les mêmes raisons sont valables pour les deux camps : digressions, humour absurde, phrases ou pensées stoppées en vol (elles aussi), d’un détail l’auteur en fait une page, parfois plus. De quiproquos en incompréhensions, derrière un climat pourtant orageux voire dramatique, l’écriture est légère et subtile, déconcertante et franchement pétillante. Vaudeville improbable où Samuel BECKETT croiserait dans un aéroport un Pierre DESPROGES qui aurait égaré sa boussole dans la maison de Jean ECHENOZ. Vous voyez le genre…

Chacun tire la couverture à soi. « Je suis calée, dit Muir. Je vais vous pousser, dit l’homme. Vous ne craignez pas pour le pare-choc ? Dit Muir. Je changerai de voiture, dit l’homme. Il avait les moyens. Je pensais au mien, dit Muir. Voici ma carte, dit l’homme, puis la poussa vers la sortie ».

Attention, je ne dis pas qu’il faille se coltiner la quinzaine de romans de Christian GAILLY (1943-2013) parus aux éditions de Minuit, m’est avis que ça pourrait devenir lassant, quoique je n’ai pas tenté l’expérience. Mais cet « Incident » de 1996 me semble le moyen parfait pour découvrir son univers singulier. Texte assez court et entraînant, il est vitaminé et drôlissime. Après, vous en faites ce que vous voulez, mais il y a fort à parier que vous risquiez de passer un bon moment de lecture. Si vous préférez les images, le roman a été adapté au cinéma par Alain RESNAY sous le titre « Les herbes folles ».

http://www.leseditionsdeminuit.fr/

(Warren Bismuth)

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