Dans le cadre du challenge interblogs « Les classiques c’est fantastique » initié par les blogs Au milieu des livres et Mes pages versicolores, et portant ce mois-ci sur le sujet « Ces livres que je suis censé.e détester », je me suis penché sur le cas d’Arthur RIMBAUD (1854-1891), figure majeure de la poésie française, afin d’analyser pourquoi je l’ai ignorée jusqu’à présent
De RIMBAUD, je n’avais lu que quelques lignes, ici et là. Si aujourd’hui je tolère la poésie en vers rimés, ce n’est pourtant pas en direction de cet exercice de style que va mon cœur. D’où mon évitement. Et ma grosse erreur
Car RIMBAUD, c’est aussi de la poésie en prose libre. Même si j’en avais fait un peu connaissance avec les adaptations épiques de Léo FERRÉ, j’étais loin de m’imaginer qu’elles puissent prendre autant de place dans l’œuvre du poète ni qu’elles fussent aussi transportantes. Mea culpa
J’avais ignoré RIMBAUD par ignorance. Pour moi et dans mon parcours personnel, son nom signifiait plus son enthousiasme pour la Commune de Paris que pour ses écrits propres (que donc, je pensais écrits quasi exclusivement en vers rimés)
Pas question ici d’analyser l’œuvre, j’en serais bien incapable et des spécialistes de talent le font depuis la fin du XIXe siècle. Cette chronique sera donc toute subjective, sensitive, impressionniste, sans être axée (ou très peu) sur des repères biographiques
Il faut se rendre à l’évidence du génie de RIMBAUD : dans sa précocité (il écrit dès l’âge de 5 ans et rédige ses premiers poèmes en 1870, à moins de 15 ans), sa diversité puisque dans cette œuvre les sujets fourmillent, apparemment sans rapport et souvent de structure différente, sans s’atteler à un style précis. RIMBAUD est aussi ce génie pour l’aspect novateur desdites structures, sans cesse réinventées. La richesse du vocabulaire, avec certains néologismes, est sidérante. Sidérante pour un très jeune homme qui vagabonde, qui festoie, qui refuse toute adhésion. Par tous ces points, l’œuvre est audacieuse, singulière. D’autant que des références scatologiques viennent choquer (ou faire rire)
Mais ce n’est pas tout : après sa carrière commencée en vers, RIMBAUD s’essaie avec maestria à la poésie en prose, dont « Une saison en enfer » sera le point culminant en 1873, il a alors 19 ans (FERRÉ la mettra intégralement en musique en 1991 pour le centenaire de la disparition du poète)
RIMBAUD sait rendre hommage de manière poignante et sincère à la Commune de Paris : « La Grand ville a le pavé chaud, / Malgré vos douches de pétrole, / Et décidément, il nous faut / Vous secouer dans votre rôle… / Et les Ruraux qui se prélassent / Dans de longs accroupissements, / Entendrons les rameaux qui cassent / Parmi les rouges froissements ! »
« Illuminations » sont des fragments d’idées, des poèmes en proses de diverses longueurs, toujours abordant des thèmes divers. Écrits visiblement entre 1872 et 1875 (il reste beaucoup de points mystérieux dans l’œuvre de RIMBAUD), ils en sont une sorte de testament puisque RIMBAUD cesse subitement d’écrire en 1875
Fugueur, emprisonné, révolté, sympathisant communard et anticlérical, RIMBAUD fait figure de libertaire bohème outrancier, excessif. Certains de ses textes semblent écrits avec son sang, ils peuvent être violents, engagés, parfois désespérés ou humoristiques, toujours d’une structure déconcertante et d’une écriture puissante et recherchée, esthétique
« À vendre les Corps sans prix, hors de toute race, de tout monde, de tout sexe, de toute descendance ! Les richesses jaillissent à chaque démarche ! Soldes de diamants sans contrôle ! À vendre l’anarchie pour les masses ; la satisfaction irrépressible pour les amateurs supérieurs ; la mort atroce pour les fidèles et les amants !
Lorsque comme moi on découvre RIMBAUD sur le tard (euphémisme), il ne faut pas en avoir honte, car de ce fait certaines réflexions surgissent immédiatement : il a beaucoup (trop !) été copié, l’est encore aujourd’hui, y compris chez des chansonniers, mais aussi bien sûr chez certains poètes ou réputés comme tels, parfois avec une évidente volonté de papier calque (certains voudraient ÊTRE RIMBAUD, ce qui peut rendre leur œuvre pathétique), alors que nous avions pensé qu’un poète lu ou entendu n’avait certes pas le génie, mais en tout cas cette petite vibration que l’on appelle l’originalité. Avec ce recul, l’on peut noter aussi cet aspect moderne dans ses textes, par les structures et les thèmes. Et puis il y a ce questionnement : les œuvres complètes de RIMBAUD peuvent se lire en quelques heures, quelques jours seulement, et sont pourtant passées à la postérité, alors qu’il pourrait ne pas suffire d’une seule vie pour lire l’intégrale de SIMENON ou de BALZAC (mais qui aurait envie de lire tout BALZAC ?). Rien que cela doit allumer un signal dans notre boîte crânienne : une œuvre aussi brève, aussi souvent et longuement commentée, aussi adulée dans le monde entier n’est pas une œuvre commune ni anodine, elle est celle d’un homme hors norme
Je dédie la présente chronique à un ami très cher qui se reconnaîtra, et qui sans doute sourira de mon noviciat en Rimbalderies, mais toujours avec bienveillance.
(Warren Bismuth)