mercredi 21 avril 2021

Joseph ANDRAS « Ainsi nous leur faisons la guerre » + « Au loin le ciel du sud »

 


Deux livres de Joseph ANDRAS sont sortis le même jour d’avril 2021. L’occasion faisant le larron, voici un billet qui les présente ensemble.

« Ainsi nous leur faisons la guerre »

 


Triptyque sur 90 pages petit format, mais quel récit ! Trois faits divers avec comme point commun la condition animale et celle des femmes. Une expérience de vivisection sur un chien en 1903, une autre sur un singe en 1985, puis une vache qui s’échappe d’une bétaillère en 2014. Les lieux de l’action sont différents : Londres, un campus californien et Charleville-Mézières. Les trois vont avoir une issue différente, mais tous concernent le traitement exercé par l’homme sur l’animal. Traitement de choc, dégueulasse, inhumain.

« Faire le mal pour soigner le mal, on dit que cette idée trouva un jour matière à germer dans l’esprit de deux ou trois humains ». Dans une langue époustouflante de révolte et de poésie, une prose puissante et précise, épurée, Joseph ANDRAS, après les somptueux « De nos frères blessés » en 2016 et « Kanaky - sur les traces d’Alphonse Dianou » en 2018, vient encore nous bousculer, nous interpeller, nous mettre en garde contre nous-mêmes. Dans les trois faits divers, des humains luttent pour le respect animal, des femmes surtout. Récit résolument féministe, il entrave les certitudes, accuse l’homme d’une surenchère incontrôlable sur les animaux pour son seul bien-être égoïste.

Les détails historiques viennent appuyer la démarche de l’auteur : 1875, fondation de la première organisation de défense animale, la National Anti-vivisection Company, créée par une femme. L’engagement de Joseph ANDRAS n’est ni vain ni dispersé. En pacifiste convaincu, il martèle : « Et elle dira : ce qui se joue ici n’est rien d’autre que la lutte entre l’émancipation des femmes et la domination des hommes. Et elle dira : le progrès social, la cause des femmes, le refus de manger la chair morte et celui d’armer les nations au front, tout cela marche d’un même pas ».

Et ce « on » hantant les pages, comme si les méfaits ou les complicités devaient se dérouler anonymement, comme si la honte d’être découvert faisait agir quasi clandestinement. La honte de torturer des animaux, d’avilir les femmes, de faire la guerre.

Séance brut de décoffrage, sans concessions ni langue de bois. Joseph ANDRAS expose son dégoût de l’homme (entendez : du mâle), se dresse contre sa suprématie, sa course à l’échalote, ses fantasmes du pouvoir. S’il peut être comparé à Éric VUILLARD de 16 ans son aîné, il va cependant plus loin : il condamne ouvertement des attitudes méprisables. L’un et l’autre sont de ces auteurs dont nous avons un grand besoin pour retrouver un sens à nos combats.

« Ce triptyque est dédié aux mutins, aux déserteurs, aux saboteurs et aux pacifistes ».

« Au loin le ciel du sud »

 


Ici l’auteur s’intéresse tout particulièrement à un homme : HÔ CHI MINH. Enfin, pas exactement, il pointe son prisme vers ce jeune homme militant avant qu’il ne s’appelle ainsi, alors qu’il habite chichement à Paris et que les services français d’espionnage le pistent déjà dans cette période à cheval entre les décennies dix et vingt du siècle numéro vingt, en pleine métamorphose du pouvoir, celui des Soviets en Russie, où le jeune Indochinois ira prendre des leçons de lutte.

Avant de poser ses valises à Paris le futur HÔ CHI MINH a bourlingué et usé ses semelles en divers coins de la planète. Mais ANDRAS focalise sur la période parisienne, l’occasion pour lui d’arpenter les rues de la capitale au XXIe siècle afin de voir surgir l’ombre de son personnage peint. Et bien sûr la tentation de parler de lieux chargés d’histoire, celle qui écrasent les miséreux, les révoltés, les contestataires.

Pour ce qui est de la biographie de HÔ CHI MINH, ANDRAS se base sur celle qu’a jadis rédigé un typographe communiste. Et l’on en apprend de belles. Notamment que le futur premier Président de la république démocratique du Viêtnam est passé par 175 pseudonymes pour brouiller les pistes. Qu’il fut membre actif de la SFIO en France, attiré par LENINE et le bolchevisme, mais aussi par les milieux plus libertaires, dans un élan humaniste et unificateur. « Un buveur d’eau qui avait foi en la révolution ». Un poète aussi, ce que l’histoire n’a pas retenu.

Joseph s’y prend avec un immense talent. S’il poursuit les traces d’HÔ CHI MINH, c’est pour mieux exposer l’autre histoire, celle des révoltes du XXe qui se trament, celle des mouvements contestataires, en France notamment. Brillant exercice, toujours sur la corde raide, mais jamais l’auteur ne bascule, il tient le cap avec force, dans une langue agressive et poétique, caustique aussi, « Les martyrs ont l’amer privilège de ne pas décevoir ».

L’exercice est bref, moins de 110 pages, mais « Les citations ont au complet la vocation disons-le emmerdante ». Alors ANDRAS a épuré, essoré, jusqu’à ne laisser que l’essentiel, et c’est une réussite totale.

 (Warren Bismuth)

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