dimanche 12 septembre 2021

Philippe LONGCHAMP « Et dessous le sang bouscule »

 


Ce livre de 2003 est un petit bijou à bien des égards. Déjà, il ne se lit pas comme un autre puisque « En août 2000, chaque jour, je me suis interrogé sur un événement personnel alors récent, une rencontre improbable, aventureuse et vivifiante » annonce l’auteur en préambule, avant d’ajouter « En août 2001, chaque jour, je me suis interrogé sur ce que me faisait le monde, ma petite planète à milliards d’humains. Sur ce qu’il leur faisait ». Le rendu est troublant. Et remarquable.

 

Août : huitième mois de l’année, appartient à la saison appelée été et possède 31 jours. Tous les jours d’août 2000 et 2001 (comme par ailleurs chaque été depuis alors 15 ans), Philippe LONGCHAMP rédige six lignes de poèmes en vers libres, y note le lieu géographique d’écriture. Page de gauche, en italique, ceux de 2000, intimistes, introspectifs. Page de droite, italique supprimée, poèmes de 2001 sur l’état du monde, par de courtes analyses de faits divers ou moments forts survenus dans un ailleurs. Sur cette page, une ligne est sautée, un septième vers est ajouté, une sorte d’aphorisme des deux pages en face à face.

 

Les dates et lieux : en août 2000 LONGCHAMP voyage en France puis se pose quelques jours à Paris, rejoint la Grèce avant un retour à Paris en fin de mois. Août 2001 : Paris-Savoie-Paris, puis le Chambon-sur-Lignon pour les festivités des « Lectures sous l’arbre » organisées par Cheyne éditeur (chez qui est sorti le présent livre). Dernière semaine dans le Gard et l’Hérault.

 

Page de gauche et page de droite interagissent comme un miroir à deux faces : la petite histoire personnelle de 2000 s’entremêle avec la grande histoire du Monde en 2001, où il est question de faits souvent politiques se jouant en Argentine, Ethiopie, Chine, Sénégal, Irlande du Nord et tant d’autres, mais aussi plus prosaïquement en France. 31 jours pour 62 poèmes, 31 fragments d’une vie, 31 fragments planétaires.

 

« Serrer freins ! Désirs emballés dérapent.

Jamais voulu être un des gens pressés,

Lestés de rien quand le temps vire au noir.

J’ai déjà perdu ma dernière guerre.

Pourtant, qui ça m’a vite pris aux dés ?

Et plus le temps de prévoir des étapes ».

 

Chaque mot est pesé, chaque pensée, chaque évocation. Nous entrons là dans un livre double, mystérieux et pourtant empli de jalons, ceux plantés à droite bien sûr, dont nous connaissons certains aspects. C’est fascinant de passer d’une page à l’autre, voir s’égrener le temps par le biais des dates en une sorte d’éphéméride aoûtien prodigieux. Et toujours cette dernière phrase, en bas à droite, isolée des autres, mais qui vient cimenter le tout.

 

« Etayer les galeries des mines ouvertes

par les colons d’Europe, en Afrique du Sud,

exigeaient du bois. Et le transport ferroviaire

du minerai, des traverses. On planta donc

des arbres « étrangers » - acacias, black wattle

assoiffés d’une eau rare et qui manque aux humains ».

 

Ainsi la page de droite répond par l’histoire internationale aux petits tracas du quotidien fixés sur la page de gauche. Et les lieux géographiques d’écriture, ce sud de la France en plein mois d’août, véritable collision avec les faits de cette page de droite, sanglants ou violents (pas toujours) et comme disproportionnés. Le livre peut être ouvert à n’importe quelle page afin d’y être lu.

 

Titre éblouissant que « Et dessous le sang bouscule » tant il peut être sujet à interprétations. Et ce bonheur de lecture parachevé par la qualité de l’objet, du papier épais, agréable au toucher, de la couverture (verte. Car oui il s’agit de la collection Verte de Cheyne), montrant une solidité à toute épreuve, tout comme le texte que le livre renferme. Moment de grâce comme Cheyne sait si bien nous en proposer. Paru en 2003, certes, mais procurez-le, offrez-le, c’est tout le mal qu’il mérite.

 

« La suite, on l’ignora, mais on peut s’en douter ».

https://www.cheyne-editeur.com/

(Warren Bismuth)

 

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