Après son
époustouflant et remarqué essai « Plutôt couler en beauté que
flotter sans grâce » paru en 2019 chez Libertalia, Corinne MOREL DARLEUX
est de retour chez le même éditeur pour la parution de son premier roman.
Violette, une jeune femme que l’on découvre
dès la première page et que nous allons suivre tout au long du récit, épuisée,
cherchant refuge dans les aspérités d’une steppe, se trouve rapidement nez à
nez avec une ourse et son jeune enfant. L’ourson, sa mère et Violette vont former un trio singulier, quand un incendie commence à se propager à
l’horizon.
Au fil de leurs aventures, Violette et ses
nouveaux amis ursins vont être amenés à rencontrer de nombreux personnages, tous semblant issus de
pages de romans ou de contes. Il y aura Maverick, Atticus et son cheval
Prevalski, puis Robinson, cet homme à la recherche de l’ensauvagement, ainsi
que quelques autres. Mais la rencontre décisive va se nouer avec l’apparition
de Princesse Cheyenne, femme rebelle vivant dans l’Oasis, sorte d’Eden. C’est
précisément ici que le roman bascule en donnant la parole à cette princesse,
désormais narratrice.
« Tous les membres présents s’écartaient
au passage de l’ours, dans un mélange d’admiration inquiète et de curiosité
craintive. Dans le cercle formé par les huttes, une foule s’était rassemblée,
alertée par les cris et l’animation. Au fur et à mesure que nous progressions,
tous s’écartaient en effleurant la tête et les bras de violette du bout des
doigts pour lui souhaiter bienvenue et guérison. Les herbes de la clairière
étaient humides de rosée sous mes pieds. J’avais l’impression de fendre les
flots, d’être une héroïne. Je ne le savais pas encore, mais sauver Violette et
Têtard était en train de devenir l’acte le plus important de ma vie ».
L’Oasis est ce village tribal où l’on tente
de vivre en autosuffisance grâce aux dons de la nature. Violette et l’ourson
Têtard rejoignent les âmes déjà présentes. Dès lors, le meilleur comme le pire
vont se côtoyer, d’autant que les redoutables Berserkers viennent pour faire
main basse sur le village et l’exploiter. La résistance va devoir s’organiser.
« Là où le feu et l’ours » est un
roman jeunesse, mais pas seulement. Il est d’abord un parcours initiatique,
celui d’une jeune femme accompagnée d’un ourson qu’elle apprivoise au
sein de la nature, c’est aussi une fresque sur les richesses de ladite nature,
richesses tellement délaissées aujourd’hui, voire combattues. Car ce roman est
un combat pour l’écologie, le respect de l’environnement, une alerte sur le
dérèglement climatique.
La tribu présentée en ces pages fait
inévitablement penser aux Autochtones, ces habitants peuplant le continent nord
américain avant l’arrivée des blancs colonisateurs. Ajoutez-y des réflexions
dignes d’un Henry David THOREAU mais très largement actualisées, d’un cœur
immense pour les portraits des personnages, d’une incursion dans certains rites
ancestraux, d’une évidente empathie pour les mondes animal et végétal, d’un
univers onirique très présent proche de la fable, et vous obtenez ce texte
inclassable.
Car, en effet, si le rêve semble être le
maître mot, le carnet de quelques dizaines de pages clôturant l’ouvrage, aussi
instruit qu’abordable, nous apprendra que dans cette aventure, rien n’est
inventé, tout revêt une existence, devient un fait ou une possibilité, mais
résolument tourné vers l’évocation d’un monde mythologique. Ce carnet est une
explication précise et en douceur des pages que nous venons de parcourir.
Roman d’une grande richesse, foisonnant, sachant varier les ambiances en de brefs chapitres dynamiques empreints d’une immense curiosité salutaire, il est orné par de magnifiques personnages qui dégagent une force naturelle énorme. Il pointe de nombreux sujets, au-delà du désastre écologique en cours, avec le questionnement intelligent et pertinent de la domestication d’animaux sauvages, mais aussi celle de l’humain par l’humain. Il est une tentative d’approche fort réussie de la liberté dans le respect et le consentement mutuel. Il est pacifiste, bienveillant mais militant, sait se faire touchant, émotionnel, mais toujours empli d’érudition, et ses images ne s’estompent pas immédiatement après la lecture. Le résultat n’en est que plus beau, sans catastrophisme ni surenchère. À découvrir chez Libertalia où il est récemment sorti. Un îlot d’espoir dans un monde obscur.
https://www.editionslibertalia.com/
(Warren Bismuth)
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