mercredi 13 avril 2022

Daniel DE ROULET « La France atomique »

 


À l’instar de deux adolescents orphelins qui dans les années 1870 ont entrepris un tour de France pour rendre compte de leur vécu dans un récit de voyage intitulé « Le tour de France par deux enfants », le suisse Daniel DE ROULET moule ses pas dans les leurs (en s’autorisant cependant quelques escales buissonnières). Sauf que lui ne va précisément chercher la beauté, l’air pur et les petites fleurs. Il prépare un tour des centrales atomiques françaises, en prenant en exergue le livre des jeunes ados.

La France compte 24 centrales nucléaires et 56 réacteurs. En commençant par l’ancêtre Fessenheim en Alsace, DE ROULET va toutes les visiter en 2021. La date n’est pas anodine : il s’agit des 10 ans de Fukushima. En spécialiste du nucléaire, l’auteur va noter, comme les deux orphelins du XIXe siècle, ce qu’il voit, ressent, pressent. En technicien aguerri et vieux militant anti-nucléaire, il ne se contente pas de s’insurger contre le parc nucléaire français, il en fait l’historique, revient sur les incidents, les mésaventures, les supercheries et bien sûr les grands mensonges des professionnels français du métier.

L’un de ces premiers mensonges aura été la rhétorique : à une période il était bon de ne pas prononcer le mot « nucléaire », sonnant trop militaire, mais bien lui préférer « atomique », pour donner ce petit côté civil qui passe bien. Et puis ces tours imposantes qui rappellent « Une église au milieu du village », ne sont-elles pas rassurantes ?

De Fessenheim (forcée définitivement à l’arrêt en 2020 pour, entre autres, sa vétusté) à Nogent-sur-Seine, c’est donc l’intégralité des centrales françaises que DE ROULET va voir puis dépeindre dans ce petit bouquin tout à fait succulent. Entre humour et réflexions documentées, la lecture de cet essai (nucléaire) est une vraie jubilation. Et l’on y apprend beaucoup sur l’état du parc nucléaire français. L’auteur en profite pour glisser des anecdotes sur ses participations passées à des actions anti-nucléaires. D’ailleurs, un nom comme Malville renvoie aux luttes des années 1970 et à celui de Vital MICHALON.

Un court chapitre par centrale, l’auteur parfois déborde de son cahier des charges (atomiques) et nous conte des souvenirs, des anecdotes, des incidents majeurs, des mensonges d’Etat, etc. Tiens, comme ça, en passant : l’un des réacteurs de la centrale de Chooz a été mis à l’arrêt en 1991, à ce jour son démantèlement n’est toujours pas terminé. Les déchets et les radiations à très long terme ont toujours posé un problème dans le nucléaire. D’ailleurs, on projette la création d’un monstre, en sous-sol, Bure et ses galeries pour enfouir et cacher nos déchets alors qu’ils resteront dangereux et actifs pendant des milliers et des milliers d’années. « Quand on parle de durée de vie ou de demi-vie, on oublie qu’il s’agit de produits qui tuent. Bien qu’ils ne représentent que 0,3 % du volume des déchets, ils concentrent 99 % de leur radioactivité. L’iode 129 met quatorze millions d’années avant de perdre la moitié de sa nocivité. Pour le plutonium, résidu du combustible des réacteurs, la demi-vie est de vingt-quatre mille ans ».

Ne pas oublier que ce coquin de réchauffement climatique pourrait déjouer les plans. Exemple à Chooz : « À fin août 2020, les fameux panaches n’ont plus décoré le paysage. En raison du débit d’eau insuffisant de la Meuse, la production a dû être stoppée. Ce n’était qu’un avant-goût des ennuis à venir. D’autre usines atomiques françaises ont elles aussi été en difficulté, par manque d’eau provenant des fleuves, ou à cause de l’élévation de leur température ». Une manière courtoise de dire que le pire reste à craindre. Ah oui, et l’EPR de Flamanville, lui aussi DE ROULET l’évoque non sans une certaine appréhension, en partie due à son budget faramineux (à ce jour, il n’est toujours pas actif).

Fin du voyage, nous avons tant appris, nous avons révisé, les essais nucléaires français et Etats-uniens nous sont revenus à la mémoire, nous avons fait connaissance avec la seule centrale implantée en Afrique. Nous pouvons fermer les yeux sans oublier que nous sommes assis sur une poudrière. Ce remarquable ouvrage est sorti en 2021 chez les non moins remarquables éditions Hors-limite de Genève (allez fouiller leur catalogue, il est de grande qualité), il est l’un de ces documents éclairants sur la dangerosité du nucléaire, qui ressemble de plus en plus au type créé de toutes pièces par le docteur Frankenstein.

« La radioactivité serait partout sous contrôle. À long terme, l’accumulation de faibles doses serait sans effet sur le patrimoine génétique. Si nos arrière-petits-enfants engendraient des enfants mutants, nous ne serions plus là pour les soigner ».

https://heros-limite.com/

(Warren Bismuth)

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