Ce livre de forme carrée est sous titré « Suivi d’autres textes sur le fascisme », vous savez à quoi vous attendre. L’auteur biélorussien n’a pas la langue dans sa poche dans ces 5 textes brefs et percutants, écrits entre 2001 et 2022, qui viennent nous secouer les neurones de manière explosive.
Ce livre au format curieux s’ouvre sur le texte éponyme (de 2001) et dévoile un handicap : le bégaiement. L’auteur raconte sa différence, les difficultés de communication, les crises de panique à l’approche de prendre la parole. Et puis cette image publique prêtant à rire plutôt qu’à compatir : « Des écrivains insignifiants nous choisissent toujours pour humaniser un personnage qu’ils n’arrivent pas du tout à rendre vivant. Celui-là sera chauve, celui-ci enrhumé chronique, mais celui-ci sera bègue. Si ça se trouve, le lecteur y croira ». La fin de ce récit est à couper le souffle.
Dans « Rêve de culottes courtes en cuir » de 2014, titre inspiré par une photo montrant Adolf HITLER en longue culotte de cuir, l’auteur attaque en dressant un portrait vitriolé du parfait nazi biélorussien. Les mots claquent, les images giflent : « Le nazisme, ce sont des réponses simples à des questions compliquées. L’homme digne n’approche pas à moins d’un kilomètre de ceux qui disent savoir qui est coupable de tout. Le nazisme, c’est l’absence de doute. C’est pour cela qu’il ne crée rien ». La littérature n’est pas en reste quand il faut dévoiler des idéaux politiques nauséabonds et usés jusqu’à la moelle : « Notre nazie-littérature, ce sont les auteurs d’avant-hier qui tentent d’écrire sur après-demain ».
« Le fascisme comme souvenir » fut écrit juste après les révoltes d’août 2020 en Bélarus’, suite à la réélection frauduleuse de Alexandre LOUKACHENKA à la tête du pays. Texte incisif, violent, bilan de 26 ans de dictature fasciste. Alhierd BACHAREVIČ se dévoile en partie. Depuis longtemps il s’insurge contre la tyrannie du président, ce BACHAREVIČ issu de la mouvance punk, qui a chanté jadis sa révolte, qui a contesté le pouvoir. Souvenir de l’éducation reçue : « Ceux qui sont nés et ont grandi en URSS ont pu entendre le mot « fasciste » pour la première fois dans leur petite enfance. Depuis, il est toujours avec nous, comme une trace de vaccination sur le bras. Il est également entré dans notre conscience comme une inoculation. « Cela ne doit plus se reproduire », « personne n’est oublié et rien n’est oublié », « Nous somme le pays qui a vaincu le fascisme » - c’est ainsi que nous avons été élevés. On nous a instillé une haine éternelle pour l’ennemi – ou plutôt, pour le mot qui le représentait. L’ennemi était loin, et pour une raison quelconque personne ne nous attaquait, mais juste au cas où, on nous apprenait à haïr les mots ». Et en ex-URSS, le fasciste était fatalement l’allemand…
Retour sur la tentative de démocratie en nouvelle Russie en 1990 avant un retour à un système totalitaire nommé fasciste par l’auteur : « Le droit de décider où est le fascisme, et où il n’est pas ne devrait jamais être du ressort d’un gouvernement ». BACHAREVIČ s’enfuit alors de son pays devenu indépendant, direction Hambourg. Il revient cependant (il est aujourd’hui de nouveau en exil). Dans ce texte il met en lumière la situation politique biélorussienne proche de celle de l’Europe des années 30, une concordance troublante.
Le quatrième texte de 2021 est un très bref poème sur le linguiste Max VASMER, le dernier étant une lettre adressée au peuple ukrainien publiée dans un journal de Kyiv le 4 mars 2022, 10 jours après la déclaration de guerre de la Russie avec la complicité du pouvoir de Belarus’. « Personne ne saurait désormais considérer l’armée du Bélarus comme biélorussienne. Il n’y a pas d’armée en Belarus’. Il y a les généraux de Loukachenka qui, comme ceux de Poutine, se voient dans leurs rêves parés de médailles de leur maître. Les grades inférieurs exécutent leurs ordres criminels. Au bas de l’échelle, se trouve la chair à canon d’une guerre criminelle ». La Belarus’ sous régime fasciste, agonisante, incapable d’aider l’Ukraine car devant pouvoir séduire le Kremlin. BACHAREVIČ vit aujourd’hui en Autriche.
Le fond est écrit avec les tripes, avec le sang. Quant à la forme, elle est séduisante : livre tout blanc de 106 pages dans seulement 12 centimètres sur 12, il est prisonnier d’un bandeau qui enserre l’œuvre du haut en bas. Le résultat est de toute splendeur, d’autant qu’il a été élaboré de manière artisanale dans l’atelier du Ver à Soie, la maison d’édition qui fait paraître le présent ouvrage. La réussite est totale grâce à ce choc entre beauté du contenant et contestation du contenu. Ce recueil en forme d’uppercut, Alhierd BACHAREVIČ l’a rédigé en trois langues : biélorussien, russe et anglais, traductions effectuées par Alena LAPATNIOVA et Virginie SYMANIEC, cette dernière en étant également l’éditrice, que je me permets par ailleurs de remercier chaudement au passage. Livre à découvrir absolument !
« Il n’existe plus de plateformes médiatiques indépendantes qui pourraient au moins diffuser la vérité sur les événements en Ukraine et aider les gens à voir la guerre à travers les yeux des Ukrainiens et des Biélorussiens. Ils sont jugés « extrémistes » et bloqués, leurs journalistes sont en prison ou contraints de faire des reportages depuis l’étranger. La Belarus’ est en proie à la douleur et à l’horreur depuis 2020 ».
(Warren
Bismuth)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire