mercredi 20 juillet 2022

Vinnie TWOPENS « Dès Ciney c’est gagné » 1/3

 


Au printemps 2022, l’ami liégeois Vinnie entreprit une randonnée de 59,6 km sur deux jours au cœur de la Belgique. Muni de son sac à dos, d’un carnet et d’un crayon, il a pris des notes. Drôles, historiques, faunistiques, humoristiques, philosophiques, architecturales, sensibles, ses fines observations sont ici retranscrites au plus près du vu et du vécu, et découpées en trois parties qui constituent le premier feuilleton proposé par Des Livres Rances. Après 5 ans d’existence il était temps pour le blog de se lancer dans cette aventure… Ce récit sera diffusé en trois épisodes à lire, dont voici le premier. Gratitude et amitié à l’auteur de ce petit carnet de route ainsi que des photographies présentées !

 

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Départ peu avant 12h30 de la Place de Grand Marchin où j'ai laissé un véhicule. Le sac d'environ 15 kg sur mon dos ne me semble pas si lourd. Je parcours les 800 mètres sur le tracé classique du GR 575/576 "À travers le Condroz" que j'avais déjà arpenté en novembre passé pour retrouver le point de départ de la variante qui va à Les Avins.

En ce préambule de printemps, une petite brise agite mes cheveux alors qu'on frôle les 15°C. Un léger voile nuageux empêche les rayons du soleil de pleinement m'atteindre. L'heure est à la fin de l'apéro dominical tandis que des effluves de barbecues arrivent à mes narines.


Après avoir dépassé le château d'eau, je plonge par un macadamisé vers le Ruisseau de Goesnes que je franchis par une passerelle avant de remonter l'autre versant du vallon. Tout a coup, le sentiment de légèreté de mon barda se mue en fardeau. Je sue par tous les pores malgré l'aide des bâtons de marche alors que le dénivelé n'est pas si fort. Un matériel certes plus coûteux mais moins lourd aurait été le bienvenu. Bonbonne et bec de gaz, gamelle, sac de couchage, tente... Tout existe désormais en extra light, mais contrairement au tarif pratiqué par l'épicier celui du matériel de camping est inversement proportionnel au poids.


Je grimpe d'abord par les bois pour déboucher sur une vaste étendue de champs de colza encore vert pour gagner un vilain hameau moderne Le Poirier.
Brusque virage à gauche pour cheminer en pente douce vers un autre hameau : Beaufays.
Suf­fixe courant en Wallonie, Fays tirerait son nom du latin fagus, fagi signifiant hêtre(s), hêtraie.



C'est là que je suis les berges du Hoyoux vers l'amont. Un Ra­vel épouse désormais cette rivière tortueuse sur l'ancien tracé de la ligne de chemin de fer 126. Aujourd'hui, de rares bus 126A et 126B ont remplacé la ligne ferroviaire desservant (souvent à vide) les villages de la vallée du Hoyoux. Je débouche à Pont de Bonne, carrefour au tourisme désuet des axes Liège-Dinant et Huy - Marche-en-Famenne. Quelques familles y profitent tantôt d'une glace, tantôt d'un verre rafraîchissant en terrasse dans la langueur de l'après midi. Je hâte le pas pour fuir ces masses populeuses pour accéder au vaste domaine Vivaqua qui alimente en eau potable la ville de Bruxelles. Je longe par la route le "Rocher du Vieux-Château" où il semblerait qu'on puisse encore voir des vestiges de fortifications celtes ou condruzes des IIème et Ier siècle avant JC. Je peux admirer les impressionnantes roches d'une ancienne carrière visiblement transformée par le passé en parcours dit d'aventure.

Encore un peu plus en remontant le Hoyoux et ses affluents canalisés à cet endroit, et après avoir un peu cherché le balisage rouge et blanc, j'entame une ascension en zig-zag qui me conduit au Château de Modave.

Etabli au cœur d'une remarquable réserve naturelle de 450 hectares, ce château d'origine médiévale a été complètement restauré au XVIIème siècle à la mode néo-classique. Il est 14h30 et je profite d'un bout de dalle pour me poser face au château et casser la croûte. Beaucoup de promeneurs arpentent les paisibles allées plantées de grands arbres alignés. Je poursuis en longeant les interminables enceintes et chemine de nouveau vers le fond du vallon, franchis le Ruisseau de Pailhe et remonte encore le cours du Hoyoux. Plusieurs faisans gla­pissent en détalant à mon approche. Les magnifiques bosquets qui résonnent au son des ruissellements délicats me mènent jusqu'au charmant Survillers qui semble isolé du monde. Une mamie taille quelques arbustes avec concentration, une adolescente brosse avec tendresse le dos de son cheval. Je franchis la rivière sur une passerelle en béton grignoté en mâchonnant quelques feuilles d'ail des ours.

Après m'être hissé jusqu'au village de Les Avins au passé guerrier je peux admirer quelques vieilles tombes des années 1600. C'est là que se termine la variante de 13,5 km et que je rattrape le cours normal du GR condruzien.
Une fastidieuse ligne droite sur le Ravel m'amène à Petit Avin que je quitte par une brève incursion dans le Bois des Tombes puis à travers champs pour la bourgade de Bouillon homonyme de la cité de Godefroid.



Par une longue montée au milieu des terres desséchées, j'accède à un étrange monticule incongru nommé La Pyramide d'où je peux admirer un panorama à 360° sur le Condroz et même le début des Ardennes. Peu après, je longe la désagréable N983 jusqu'à Verlée d'où le Hoyoux jaillit en sa forme embryonnaire. Il y a une boutique avec un antique distributeur de soda mais qui est bien sûr fermée le dimanche. "Tous essentiels" peut-on lire sur la vitrine. Bifurcation à droite pour grimper vers le hameau de Buzin puis à travers champs jusqu'à une potale et un carrefour à cinq branches.

J'ai déjà pas mal parcouru les sentiers de randonnée de Belgique, partout où je passe de façon si éphémère, il faut le dire, j'ai comme l'impression d'être chez moi que ce soit dans les environs de mon domicile ou dans un cadre plus lointain. Cette solitude apaisante me fait prendre mes aises dans la campagne. Loin de moi tout sentiment nationaliste ou territorialiste car pour moi la notion de frontière est bien souvent une aberration. Croire que la Nature n'attend que moi pour se dévoiler serait bien présomptueux, je ne crois pas que la Nature ait une conscience. Je me dis que j'ai simplement la chance de passer au bon moment au bon endroit comme un intrus temporaire dans cette grande indifférence.


J'arrive enfin à Failon, terme de la première journée de marche. L'angoisse du manque d'eau me fait trotter vers l'église et son cimetière. Victoire ! J'aperçois un robinet, mais je déchante rapidement me rendant compte qu'il n'est pas fonctionnel... Je sonne à quelques portes qui restent désespérément closes. La cinquième tentative est la bonne puisque je repars avec ma bouteille de 2 litres remplie. Je suis paré pour la soirée et la nuit et même le début de la prochaine journée. Je marche encore 1 km vers le bivouac tout encoquillé repéré par hasard sur la map. J'aurai donc parcouru au total 26,5km en en +/- 6h30. Cet abri artistique fait partie d'une boucle à travers la région appelée "Sentier d'art" qui permet de parcourir 141 km en 6 étapes avec bivouacs autorisés.



Rien n'indique son emplacement, aussi dois-je fouiner dans ce bois de résineux jalonné de ronces et de jeunes pousses où se dessine vaguement une sente. Soudain, j'aperçois du mouvement face à moi devant le profil du cabanon expérimental. Je compte 2 êtres humains ayant visiblement déjà pris possession des lieux. Faut dire qu'il est presque 19h00, le ciel adopte une déclinaison crépusculaire de teintes orangées. Le passage à l'heure d'été de la nuit précédente apporte un sursis à la nuit. Peut-être s'agit-il des cyclistes qui m'ont dépassé sur la petite route vers Failon, un matelas de sol sur leur porte-bagages ?


Je ne le saurai jamais puisque fuyant la confrontation, je rebrousse chemin à la recherche d'un coin tranquille. Un chevreuil bondit dans les taillis à mon retour dans une petite clairière. Vu la sècheresse présente, il ne serait pas prudent d'établir mon campement à cet endroit garni de sapins et de petits bois secs et d'y faire un feu.

Je m'extrais de la sylve pour déplier ma tente à la limite de celle-ci avec un pré presque plat. Quelqu'un d'autre a vraisemblablement déjà fait une flambée ici vu le petit cratère dans l'herbe.

 

Je fais une réserve de bois tandis le soleil disparaît totalement de l'horizon. La fraîcheur ne tarde pas à m'envelopper de ses tentacules, je mets un vêtement sec et accumule les couches. Prairies aux alentours et village de Failon en ligne de mire, j'aperçois les phares des voitures qui se croisent sur la N 938 tressaillant au moindre bruit suspect. Mes cordes vocales vibrent à l'appel de ma chérie au son des vicissitudes de la journée.

 

Un message aussi pour donner des nouvelles à mes parents, mais il me faut économiser la batterie de mon téléphone vieux et déficient. La batterie de secours avec le câble de recharge facétieux ne parviendra à faire remonter la batterie qu'à 80%. En randonnée je ne me sers pas trop d'internet trop gourmand en énergie, sauf quand vraiment j'ai un doute sur le tracé du parcours, mais je fais des photos avec ce condensé de technologie. C'est aussi un choix de ne pas être connecté au monde durant ces moments d'évasion.

 

(Vinnie Twopens)




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