Au
printemps 2022, l’ami liégeois Vinnie entreprit une randonnée de 59,6 km sur
deux jours au cœur de la Belgique. Muni de son sac à dos, d’un carnet et d’un
crayon, il a pris des notes. Drôles, historiques, faunistiques, humoristiques,
philosophiques, architecturales, sensibles, ses fines observations sont ici
retranscrites au plus près du vu et du vécu, et découpées en trois parties qui
constituent le premier feuilleton proposé par Des Livres Rances. Après 5 ans
d’existence il était temps pour le blog de se lancer dans cette aventure… Ce
récit sera diffusé en trois épisodes à lire, dont voici le premier. Gratitude
et amitié à l’auteur de ce petit carnet de route ainsi que des photographies
présentées !
*****
Départ
peu avant 12h30 de la Place de Grand Marchin où j'ai laissé un véhicule. Le sac
d'environ 15 kg sur mon dos ne me semble pas si lourd. Je parcours les 800
mètres sur le tracé classique du GR 575/576 "À travers le Condroz"
que j'avais déjà arpenté en novembre passé pour retrouver le point de départ de
la variante qui va à Les Avins.
En ce
préambule de printemps, une petite brise agite mes cheveux alors qu'on frôle
les 15°C. Un léger voile nuageux empêche les rayons du soleil de pleinement
m'atteindre. L'heure est à la fin de l'apéro dominical tandis que des effluves
de barbecues arrivent à mes narines.
Après avoir dépassé le château d'eau, je plonge par un macadamisé vers le
Ruisseau de Goesnes que je franchis par une passerelle avant de remonter l'autre
versant du vallon. Tout a coup, le sentiment de légèreté de mon barda se mue en
fardeau. Je sue par tous les pores malgré l'aide des bâtons de marche alors que
le dénivelé n'est pas si fort. Un matériel certes plus coûteux mais moins lourd
aurait été le bienvenu. Bonbonne et bec de gaz, gamelle, sac de couchage,
tente... Tout existe désormais en extra light, mais contrairement au tarif
pratiqué par l'épicier celui du matériel de camping est inversement
proportionnel au poids.
Je grimpe d'abord par les bois pour déboucher sur une vaste étendue de champs
de colza encore vert pour gagner un vilain hameau moderne Le Poirier.
Brusque virage à gauche pour cheminer en pente douce vers un autre hameau :
Beaufays.
Suffixe courant en Wallonie, Fays tirerait son nom du latin fagus, fagi
signifiant hêtre(s), hêtraie.
C'est là que je suis les berges du Hoyoux vers l'amont. Un Ravel épouse
désormais cette rivière tortueuse sur l'ancien tracé de la ligne de chemin de
fer 126. Aujourd'hui, de rares bus 126A et 126B ont remplacé la ligne
ferroviaire desservant (souvent à vide) les villages de la vallée du Hoyoux. Je
débouche à Pont de Bonne, carrefour au tourisme désuet des axes Liège-Dinant et
Huy - Marche-en-Famenne. Quelques familles y profitent tantôt d'une glace,
tantôt d'un verre rafraîchissant en terrasse dans la langueur de l'après midi.
Je hâte le pas pour fuir ces masses populeuses pour accéder au vaste domaine
Vivaqua qui alimente en eau potable la ville de Bruxelles. Je longe par la
route le "Rocher du Vieux-Château" où il semblerait qu'on puisse
encore voir des vestiges de fortifications celtes ou condruzes des IIème et Ier
siècle avant JC. Je peux admirer les impressionnantes roches d'une ancienne
carrière visiblement transformée par le passé en parcours dit d'aventure.
Encore un
peu plus en remontant le Hoyoux et ses affluents canalisés à cet endroit, et
après avoir un peu cherché le balisage rouge et blanc, j'entame une ascension
en zig-zag qui me conduit au Château de Modave.
Etabli au
cœur d'une remarquable réserve naturelle de 450 hectares, ce château d'origine
médiévale a été complètement restauré au XVIIème siècle à la mode
néo-classique. Il est 14h30 et je profite d'un bout de dalle pour me poser face
au château et casser la croûte. Beaucoup de promeneurs arpentent les paisibles
allées plantées de grands arbres alignés. Je poursuis en longeant les
interminables enceintes et chemine de nouveau vers le fond du vallon, franchis
le Ruisseau de Pailhe et remonte encore le cours du Hoyoux. Plusieurs faisans
glapissent en détalant à mon approche. Les magnifiques bosquets qui résonnent
au son des ruissellements délicats me mènent jusqu'au charmant Survillers qui
semble isolé du monde. Une mamie taille quelques arbustes avec concentration,
une adolescente brosse avec tendresse le dos de son cheval. Je franchis la
rivière sur une passerelle en béton grignoté en mâchonnant quelques feuilles
d'ail des ours.
Après
m'être hissé jusqu'au village de Les Avins au passé guerrier je peux admirer
quelques vieilles tombes des années 1600. C'est là que se termine la variante
de 13,5 km et que je rattrape le cours normal du GR condruzien.
Une fastidieuse ligne droite sur le Ravel m'amène à Petit Avin que je quitte
par une brève incursion dans le Bois des Tombes puis à travers champs
pour la bourgade de Bouillon homonyme de la cité de Godefroid.
Par une
longue montée au milieu des terres desséchées, j'accède à un étrange monticule
incongru nommé La Pyramide d'où je peux admirer un panorama à 360° sur
le Condroz et même le début des Ardennes. Peu après, je longe la désagréable
N983 jusqu'à Verlée d'où le Hoyoux jaillit en sa forme embryonnaire. Il y a une
boutique avec un antique distributeur de soda mais qui est bien sûr fermée le
dimanche. "Tous essentiels" peut-on lire sur la vitrine. Bifurcation
à droite pour grimper vers le hameau de Buzin puis à travers champs jusqu'à une
potale et un carrefour à cinq branches.
J'ai déjà
pas mal parcouru les sentiers de randonnée de Belgique, partout où je passe de
façon si éphémère, il faut le dire, j'ai comme l'impression d'être chez moi que
ce soit dans les environs de mon domicile ou dans un cadre plus lointain. Cette
solitude apaisante me fait prendre mes aises dans la campagne. Loin de moi tout
sentiment nationaliste ou territorialiste car pour moi la notion de frontière
est bien souvent une aberration. Croire que la Nature n'attend que moi pour se
dévoiler serait bien présomptueux, je ne crois pas que la Nature ait une
conscience. Je me dis que j'ai simplement la chance de passer au bon moment au
bon endroit comme un intrus temporaire dans cette grande indifférence.
J'arrive enfin à Failon, terme de la première journée de marche. L'angoisse du
manque d'eau me fait trotter vers l'église et son cimetière. Victoire !
J'aperçois un robinet, mais je déchante rapidement me rendant compte qu'il
n'est pas fonctionnel... Je sonne à quelques portes qui restent désespérément
closes. La cinquième tentative est la bonne puisque je repars avec ma bouteille
de 2 litres remplie. Je suis paré pour la soirée et la nuit et même le début de
la prochaine journée. Je marche encore 1 km vers le bivouac tout encoquillé
repéré par hasard sur la map. J'aurai donc parcouru au total 26,5km en en +/-
6h30. Cet abri artistique fait partie d'une boucle à travers la région appelée
"Sentier d'art" qui permet de parcourir 141 km en 6 étapes avec
bivouacs autorisés.
Rien
n'indique son emplacement, aussi dois-je fouiner dans ce bois de résineux
jalonné de ronces et de jeunes pousses où se dessine vaguement une sente.
Soudain, j'aperçois du mouvement face à moi devant le profil du cabanon
expérimental. Je compte 2 êtres humains ayant visiblement déjà pris possession
des lieux. Faut dire qu'il est presque 19h00, le ciel adopte une déclinaison
crépusculaire de teintes orangées. Le passage à l'heure d'été de la nuit
précédente apporte un sursis à la nuit. Peut-être s'agit-il des cyclistes qui
m'ont dépassé sur la petite route vers Failon, un matelas de sol sur leur
porte-bagages ?
Je ne le saurai jamais puisque fuyant la confrontation, je rebrousse chemin à
la recherche d'un coin tranquille. Un chevreuil bondit dans les taillis à mon
retour dans une petite clairière. Vu la sècheresse présente, il ne serait pas
prudent d'établir mon campement à cet endroit garni de sapins et de petits bois
secs et d'y faire un feu.
Je
m'extrais de la sylve pour déplier ma tente à la limite de celle-ci avec un pré
presque plat. Quelqu'un d'autre a vraisemblablement déjà fait une flambée ici
vu le petit cratère dans l'herbe.
Je fais
une réserve de bois tandis le soleil disparaît totalement de l'horizon. La fraîcheur
ne tarde pas à m'envelopper de ses tentacules, je mets un vêtement sec et
accumule les couches. Prairies aux alentours et village de Failon en ligne de
mire, j'aperçois les phares des voitures qui se croisent sur la N 938
tressaillant au moindre bruit suspect. Mes cordes vocales vibrent à l'appel de
ma chérie au son des vicissitudes de la journée.
Un
message aussi pour donner des nouvelles à mes parents, mais il me faut économiser
la batterie de mon téléphone vieux et déficient. La batterie de secours avec le
câble de recharge facétieux ne parviendra à faire remonter la batterie qu'à
80%. En randonnée je ne me sers pas trop d'internet trop gourmand en énergie,
sauf quand vraiment j'ai un doute sur le tracé du parcours, mais je fais des
photos avec ce condensé de technologie. C'est aussi un choix de ne pas être
connecté au monde durant ces moments d'évasion.
(Vinnie
Twopens)
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