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dimanche 3 juillet 2022

Karel ČAPEK « La maladie blanche »

 


Dans un pays jamais nommé, à une date qui pourrait bien se rapprocher des années 1930, une maladie venue de Pékin, où elle fut découverte en 1923, fait rage. Une plaque blanche apparaît d’abord sur la peau, puis le mal s’étend jusqu’à ce que la personne contaminée succombe de cette maladie blanche, appelée également maladie de Tcheng. La médecine semble impuissante à éradiquer ce fléau qui touche plus particulièrement les plus de 40 ans. Pourtant un jeune docteur, du nom de Galén, se présente dans la clinique publique du docteur Sigelius pour expérimenter un remède miracle qu’il vient d’inventer.

Seulement voilà : le docteur Galén ne veut traiter que les patients de la chambre n°13 de l’hôpital. De plus, il ne désire que soigner les pauvres, les indigents. C’en est trop pour le docteur Sigelius qui voit en lui l’un de ces opportunistes carriéristes cherchant à tout prix une renommée. Pour finir, ce diable de Galén veut mettre en place une sorte de chantage avec les gouvernements du monde entier : il ne divulguera son traitement miraculeux que si les nations promettent d’arrêter de se faire la guerre. Sinon, les habitants de la terre mourront dans l’agonie d’une maladie incurable.

Derrière ses faux airs de farce, « La maladie blanche » est une pièce de théâtre intelligente, subtile et brillante. En effet, écrit en 1937, peu avant la mort de ČAPEK et alors que la guerre mondiale semble être une menace crédible et même inexorable, ce texte est une allégorie d’une force inouïe sur le fascisme et le nazisme. Le remède miracle contre la « maladie » à venir, la guerre, c’est le pacifisme, et pourtant aucun ne semble le défendre ni même le tolérer. « Eh bien, cela continue à se propager… Par bonheur, les gens pensent maintenant davantage à la prochaine guerre qu’à la maladie blanche. Les perspectives sont très optimistes, n’est-ce pas, monsieur le baron ? La confiance est totale ».

D’aucuns auront vu une troublante similitude entre cette pièce et le monde que nous avons vécu lors de la récente pandémie, ce serait faire table rase de l’image détournée d’une guerre en devenir que ČAPEK tient pourtant à mettre en scène à sa manière. Certes, nous nombrilistes du XXIe siècle, pourrions aisément crier à l’artiste visionnaire, au Nostradamus des temps modernes imaginant notre monde plus de 80 ans avant l’avènement. Il n’en est rien. ČAPEK souhaite dénoncer le militarisme, mais le fascisme se développe en Europe, donc il faut pour l’auteur recourir à un stratagème afin de déjouer la censure et les affres des dictatures : rédiger une pièce d’apparence burlesque pour aller au plus profond du mal et ainsi le dévoiler.

Véritable pamphlet anti (antimilitariste, antipatriotique, antifasciste), « La maladie blanche » est de ces textes que l’on n’oublie pas. Mieux : que l’on peut dégainer en tous temps, en tous lieux et en toutes circonstances, il est universel et comme intemporel. Certaines scènes (la pièce compte 3 actes) sont d’une force rare, à la fois jouissives et effrayantes par la portée réelle qu’elles recèlent : « Ce remède contre la maladie de Tcheng, c’est le mien, vous comprenez ? Et je ne le leur donnerai pas tant que… tant qu’ils n’auront pas promis de ne plus jamais faire la guerre ! Je vous en prie, faites-leur savoir que j’ai dit cela pour eux. C’est la vérité. Personne d’autre que moi ne connaît ce traitement, demandez à n’importe qui ici : je suis le seul à pouvoir guérir cette maladie, le seul. Dites-leur qu’ils sont déjà vieux, tous ceux qui dirigent les peuples. Dites-leur qu’ils vont pourrir vivants… Comme ceux qui sont là… ».

Ce texte devrait être étudié à l’école, il est d’un profond humaniste et en même temps d’une lucidité exceptionnelle, il bouscule par sa forme, son fond et sa force. Il est comme l’un de ces mémorables tracts sur l’absurdité de la guerre et de la dictature. Il est souvent considéré comme une œuvre de science fiction, c’est en partie faux. Certes, il peut l’être si l’on en fait une lecture au premier niveau, focalisant notre imagination sur la partie pandémique. Pourtant il est écrit deux ans avant la déclaration de guerre de 1939, il traite de ce sujet, inlassablement (comme le traitait le roman « La guerre des salamandres », autre chef d’œuvre de l’auteur écrit l’année précédente), il met en garde sur la montée du nazisme, il pleure sur une paix devenue impossible, sur une tragédie qui se dessine. Cette guerre, ČAPEK ne la verra pas, il meurt fin 1938, quelques mois seulement avant l’irréparable. ČAPEK était d’ailleurs sans doute condamné à court terme, « La guerre des salamandres » notamment l’ayant mis dans le viseur de la Gestapo qui envisageait son arrestation prochaine.

Ne ratez pas « La maladie blanche », par pitié ! Et si vous êtes décidément allergique au format théâtral, laissez-vous cependant porter par celui-ci, il n’est pas à proprement parler un théâtre classique, d’ailleurs les lieux ne sont pas évoqués, seules les dialogues comptent, et ils sont d’une richesse exceptionnelle. Ce livre vient d’être réédité aux éditions du Sonneur, traduction et préface d’Alain VAN CRUGTEN, il pourrait bien devenir une sorte de leitmotiv contre les extrémismes dans ce monde qui, décidément, tend à bégayer.

https://www.editionsdusonneur.com/

 (Warren Bismuth)

1 commentaire:

  1. Quelle belle chronique ! J'acquiesce complétement à ce que tu dis, c'est un livre formidable, qu'on n'oublie pas, d'une force rare (je l'avais également chroniqué récemment : https://etsionbouquinait.com/2022/03/27/karel-capek-la-maladie-blanche/)

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