Ce documentaire allemand de 1984, traduit par Henry ROLLET et publié alors par les éditions de Minuit, est une véritable encyclopédie du mal absolu. De leur naissance à leur démontage par les nazis, en passant par leurs balbutiements, les différents essais, perfectionnements, uniformisation, etc., tout ce qui est possible d’apprendre sur les chambres à gaz de la deuxième guerre mondiale est ici patiemment énuméré, listé, avec dates, chiffres (vertigineux) à l’appui.
Ce livre riche et précis est sorti 40 ans après le début de la libération des camps d’extermination. Car ici il n’est pas question des camps de concentration, mais bien de mort, accompagnant la « Solution finale » mise en oeuvre par les nazis. Avant cela, c’est toute une société organisée qui avant même le début de la guerre met au point un processus d’euthanasie qui va rapidement se développer. Tout d’abord testé sur les malades mentaux, il devient rapidement une arme létale sur la « question juive ».
Le « Nous ne savions pas » ne peut qu’être balayé d’un revers de la main avec ces protestations (notamment de l’Eglise) dès 1940 contre ces premières exterminations. Le procédé tend à se moderniser et à s’étendre, d’abord sous la forme de camions itinérants qui se rendent sur les lieux de détentions et qui, par les échappements de véhicules branchés sur les camions, obtiennent leurs premiers résultats de gazage de masse. Ces camions itinérants sont tout d’abord utilisés en Pologne et U.R.S.S. pour exécuter les handicapés, les opposants politiques, mais aussi les juifs et les tziganes.
Les premières chambres à gaz opérationnelles, sont ces « instituts d’euthanasie ». Et les détails, les anecdotes, atroces. « Dans l’établissement de Hadamar, qui a succédé à Grafeneck, plus de dix mille malades ont été gazés. Quelque temps avant la fin de l’opération, au cours de l’été 1941, on organisa une petite soirée pour célébrer le gazage et la crémation dans le four de l’établissement du dix millième malade ». Car qui dit assassinat de masse sur un lieu donné dit fours crématoires. Ils tournent à plein régime (nazi).
Dans ce monde fou, parallèle, déshumanisé, on joue avec le vocabulaire, on crée des codes, nombreux, pour masquer la vérité (plus tard on détruira les preuves, mais pas toutes), mais aussi pour provoquer, ancrer certaines horreurs dans les mémoires : « La plupart des détenus qui arrivaient à Hartheim étaient des êtres exténués, totalement épuisés, apathiques. On appelait ces cachectiques des « musulmans ». Mais beaucoup étaient encore aptes au travail ». Les nazis jouent sur les mots autant qu’ils masquent leurs méfaits. Secret d’Etat.
Tout semble détourné : les faits, l’Histoire, la Vie, la Vérité bien sûr. S’appuyant sans relâche sur de très nombreux témoignages, y compris ceux de principaux acteurs SS, ce document exceptionnel est dur, tant il veut coller au plus près des faits, des chiffres décrivant l’atrocité, choisis non dans l’excès mais « à minima » (les décennies suivantes, ces chiffres seront affinés grâce à de nouvelles découvertes, de nouveaux témoignages). Ces témoignages peuvent aussi être indirects, certains écrits de victimes seront notamment retrouvés dans des récipients ou bouteilles enterrés dans les enclos même des camps.
La mise en fonction des premiers camps d’extermination se situe au dernier trimestre 1941, sur le sol polonais : Belzec, Sobibor, Treblinka, et « bien sûr » Auschwitz. Sans oublier Ravensbrück, le camp des femmes. Les exterminations se déroulent dans un premier temps avec du gaz d’échappement, des douches créées de toutes pièces pour ne pas alerter les futurs gazés. Les cadavres, trop nombreux, finissent par être brûlés par paquets sur des grills faits de rails de chemins de fer. La première chambre à gaz aménagée est mise en place à Auschwitz et fonctionne de septembre 1941 à octobre 1942. C’est à Auschwitz qu’est utilisé pour la première fois le sinistrement célèbre Zyklon B. Et le grand carnage peut commencer avec la concrétisation dans toute son horreur de la solution finale, la majorité des gazés étant des juifs, ces juifs présentés comme l’ennemi ultime, celui qu’il faut éradiquer de la surface de la terre.
Ce documentaire est saisissant par son travail historique, ses chiffres, son incroyable recherche de fourmi (des centaines de notes agrémentent le récit), les situations évoquées, qui se répètent selon les sites d’extermination, comme si une immense partition globale soigneusement élaborée avait été écrite d’avance (voir le « Mein Kampf » de Hitler). Et puis la froideur administrative des exécutants, dans une inhumanité qui atteint son comble.
Ce texte vertigineux, journalistique, servant de levier, de passerelle entre les générations, ne nous épargne aucun détail, même pas le cynisme extrême des nazis. Le cœur prêt à être vomi lorsqu’on lit que le massacre de juifs par arme à feu dans le camp de Maïdanek est appelé « Fête de la moisson ». L’indicible, l’indescriptible. Et pourtant il faut écrire pour l’avenir, afin que les générations futures n’oublient pas.
Ces gazages eurent lieu jusqu’aux ultimes heures de la guerre. Le dernier d’entre eux se tient le 28 avril 1945 (deux jours avant le suicide de HITLER) à Mauthausen, il vise des antifascistes autrichiens.
« Comment cela a-t-il été possible ? » est le nom du dernier chapitre en forme d’épilogue. Des humains fanatisés, un endoctrinement délirant qui a fonctionné. Beaucoup de facteurs entrent en compte. À la fin de ce nécessaire ouvrage sont proposés quelques fac-similés, notamment certains plans de camps d’extermination. Ce livre a été réédité à plusieurs reprises chez d’autres maisons d’édition que Minuit. Il est à lire, non seulement comme un témoignage du passé, mais comme une alerte sur notre monde actuel qui s’en rapproche dangereusement.
http://www.leseditionsdeminuit.fr/
(Warren
Bismuth)
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