vendredi 7 octobre 2022

Iegor GRAN « Z comme zombie »

 


Le tristement fameux Z représente les initiales de Zapad, l’un des deux grands corps de l’armée russe impliqués actuellement dans l’occupation de l’Ukraine, devenu leitmotiv de l’envahisseur. Ce Z a été commenté, jusqu’à représenter ce « Zombie » qui accompagne le titre du nouveau récit de Iegor GRAN, document à charge extrêmement offensif à l’endroit de la Russie de Poutine.

L’auteur analyse, tente de comprendre l’extrême confusion régnant aujourd’hui dans l’esprit russe. Il évoque le passé, la certitude de la toute puissance d’un peuple asservi, manipulé par d’incessantes fake news qui ont fini par contrôler ses pensées. Peuple zombifié par un autoritarisme cherchant à renouer d’une part avec la défunte U.R.S.S., de l’autre avec l’empire déchu en 1917.

GRAN attaque tant et plus, fait feu de tout bois. « Aucune preuve, aussi concrète soit-elle, n’est capable d’ébranler leurs certitudes. Non seulement ils ne croient pas ce qu’ils voient, ils préfèreraient perdre la vie plutôt que de douter ». Le complotisme haussé comme discours d’Etat et répété jusqu’à la nausée jusqu’à devenir cette triste « Vérité alternative ».

Dans ce texte se succèdent des témoignages de russes, anonymes ou non, connus de l’auteur ou non. Et partout ce fanatisme, cet aveuglement rendu concret par la prolifération de ce Z qui se développe comme du chiendent. Reconstruire, réécrire l’Histoire (n’oublions pas la dissolution de l’organisation Memorial par POUTINE, quelques semaines avant le déclenchement de l’invasion en Ukraine), c’est aussi de faire d’une défaite un triomphe, démontrant la force quasi mystique d’une population soudée contre le monde entier, forcément agresseur.

La littérature n’est pas oubliée, celle qui fait partie du patrimoine mondial, les TOLSTOÏ, les DOSTOÏEVSKI, les TCHEKHOV, les GOGOL, les POUCHKINE surtout, ces noms immenses, éternels qui en quelque sorte définissent l’âme russe. Comme d’autres, leurs noms sont utilisés jusqu’à la corde car, au prétexte de l’injustice, on ressasse le passé, encore et encore, jusqu’à cette tragédie que fut la chute de l’U.R.S.S., mais aussi cette démonstration de force du stalinisme contre l’envahisseur nazi durant la deuxième guerre mondiale. Alors on se remet à espérer d’un avenir au goût d’antan.

Reste l’ombre presque grandissante de LÉNINE : « Chaque statue de Lénine que l’on démonte dans une ancienne colonie provoque une vague d’indignation sincère, comme si un blasphème contre le passé ensoleillé des Russes venait d’être commis. Ainsi, la première chose à laquelle pense l’administration russe quand elle occupe la ville de Henitchesk, en Ukraine, c’est de retrouver la statue de Lénine qui avait été enlevée en 2015, coupée en trois morceaux et laissée pour morte dans un hangar, et de la replanter sur la place centrale, en recollant à la colle marronnasse les morceaux, cicatrices bien visibles – Frankenstein Lénine ».

Vient l’époque de la reconquête : reprendre les frontières telles qu’elles furent jadis : récupérer l’Ukraine (car voilà le prétexte à ce récit, la guerre en Ukraine et l’invasion russe sur son sol) après la Géorgie, la Tchétchénie et tant d’autres, reconstruire le tracé de l’Union Soviétique mais pas seulement. La volonté va plus loin encore, bien plus loin, dans le temps comme dans l’espace. L’un des buts ultimes est de reprendre L’Alaska qui naguère fut russe. Et même reconquérir la Californie.

Iegor GRAN cite des faits divers récents et ahurissants, comme pour enfoncer le clou, épaulé par son humour ô combien caustique. Il est temps pour lui de dénoncer le grand paradoxe : les copies conformes d’emballages de produits Etats-uniens mais fabriqués par des marques russes. Car même si l’on combat « l’impérialisme américain » avec force et détermination, on le singe à bien des égards.

Texte écrit en direct (les dernière informations relayées datent de l’été 2022), mais réfléchi quant à l’Histoire d’un pays à la fois puissant et obsolète, il n’est peut-être pas sans parti pris dans certaines de ses réflexions, agglomérant un trop à la va-vite peuple et élite. Il n’empêche qu’il est judicieux et nécessaire, et en fin de compte pas si loin – quoique moins affiné - des réflexions actuelles de André MARKOWICZ qui sur Facebook rédige plusieurs fois par semaine des chroniques sur l’actualité de la guerre en Ukraine, au risque de s’épuiser et d’être attaqué par les pro-Poutine gangrenant les réseaux sociaux.

« Z comme zombie » est la radiographie d’un pays s’effondrant par sa propre vanité, il est sorti chez P.O.L. à la rentrée 2022. Une plongée au tréfonds de l’âme russe.

https://www.pol-editeur.com/

 (Warren Bismuth)

2 commentaires:

  1. Cela fait un moment que je tourne autour de cet auteur. J'avais noté le titre précédent " les services compétents ". Celui-ci semble plus proche de la satire ou du pamphlet. Un texte engagé, même à vif, est toujours intéressant.

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