dimanche 9 octobre 2022

Jim LYNCH « Face au vent »

 


Dans la famille Johannssen à Seattle, rien n’est plus sacré que la voile. De générations en générations, tous les membres se sont transmis ce savoir-faire par la passion et l’abnégation. Josh, le narrateur, est chef de chantier maritime mais aussi  le deuxième rejeton d’une fratrie de trois enfants. Le frère aîné est Bernard, homme pragmatique mais aventurier, deux ans de plus. La sœur Ruby est la benjamine, deux ans de moins, un peu menteuse et vantarde. Père autoritaire, turbulent, évoluant bien sûr dans le monde des bateaux, mère scientifique qui voue une passion pour Albert EINSTEIN.

Ce qui pourrait être un roman banal et peut-être ennuyeux devient un « page-turner » efficace, agréable à lire grâce à la plume gorgée d’humour de Jim LYNCH. Difficile de ne pas penser à Jim HARRISON et Craig JOHNSON dans ses descriptions de scènes burlesques, mais aussi d’autre plus graves que pourtant il désacralise par la drôlerie, ou encore lorsqu’il caricature avec tendresse ses contemporains dans une déferlante de bons mots sur fond d’exubérance.

Ce roman s’évade parfois vers des sujets liés à la navigation, comme par exemple ces vieilles histoires de découvertes de territoires par les mers ou les océans, sans oublier les inventions et trouvailles scientifiques. Là c’est souvent la mère qui s’exprime. Mais en fond, d’autres éléments viennent se fixer : les courses de régates (vous saurez tout sur le vocabulaire, les techniques de fabrication de bateaux, les tactiques de courses). L’autre héros, outre la famille Johannssen, est le vent, y compris lorsqu’il refuse de souffler, lorsqu’il ne vient pas en aide lors des régates.

Nous suivons cette famille, l’évolution des trois frères et sœur de l’adolescence vers la vie adulte, la pensée plus mature. Bernard et Ruby s’engagent dans de nobles causes, même si Bernard a des ennuis suite à une manif et qu’il doit s’enfuir. Quant à Josh, il drague sur Internet, fait des rencontres plus ou moins sans lendemain mais ne désespère pas de trouver l’âme sœur.

En parlant de sœur, les lendemains de Ruby s’annoncent difficiles, c’est la partie sombre du livre, mais toujours traitée avec détachement, humour quoique compassion. La famille unie semble se disloquer un peu plus à chaque page, tous les membres semblent être exaspérés et prêts à prendre leurs distances. Comme Bernard en somme.

« Face au vent » est un roman qui, sans révolutionner le style ni l’histoire, est de bonne facture, plaisant quoique peut-être un peu longuet – 360 pages - notamment vers les 2/3 du récit où Jim LYNCH paraît chercher un second souffle que, à la grande joie de son lectorat, il finit par trouver pour parachever son livre de manière convaincante. Il permet de prendre l’air, le grand large même, à peu de frais, et avec un bon talent de conteur.

Ce roman traduit par Jean ESCH est sorti chez Gallmeister en janvier 2018 très exactement. Si cette date est importante pour les amateurs de la maison d’édition, c’est qu’en théorie elle marque la fin de la merveilleuse collection Nature writing, une aventure unique en littérature française où tant d’ouvrages de référence (un peu plus de 60) sont parus, une véritable mine d’or ! Donc ce roman apparaît comme l’ultime de la série dans les catalogues de distributions. Or dans le livre lui-même et sur la quatrième de couverture, c’est bien à la collection America qu’il appartient. Mystère peu banal. Il devait être prévu de rejoindre cette collection en prévision de son arrêt définitif, puis l’éditeur a vraisemblablement changé son fusil d’épaule, ce qui fait que le dernier volume de cette prestigieuse collection est celui de John GIERACH « Une journée pourrie au paradis des truites » paru fin 2017. Mais il n’est pas interdit de voir en « Face au vent » le point final à la Nature writing par son atmosphère de liberté au grand large à défaut des grands espaces.

https://gallmeister.fr/

 (Warren Bismuth)

2 commentaires:

  1. Lu il y a quelques années avec heureusement mon marin chéri à côté de moi : il a pu éclaircir tous les mystères liés au vocabulaire et ils sont très nombreux (j'ai d'ailleurs apprécié cette poésie maritime, même sans la comprendre au départ). Je lui ai ensuite fait lire, ainsi qu'à ses frères marins comme lui et ils ont tous d'accord : ce Jim Lynch est un mec cool, un vrai marin !

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    1. Des Livres Rances10 octobre 2022 à 00:43

      Merci pour ces précisions, c'est très joli de s'imaginer une famille de marins se prêtant le roman puis en débattre. Tu as lu ses autres romans ?

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