mercredi 15 février 2023

Dino PEŠUT « Les Érinyes – Filles du désespoir »

 


Quatre courtes vidéos circulent dans un établissement scolaire croate, sur les téléphones portables de lycéens. Quatre séquences, brèves, postées sur WhatsApp, sur lesquelles on peut voir la jeune Marija frappée puis violée. La durée totale de l’enregistrement s’élève à 6 minutes environ. On y voit Marija allongée, entourée de trois garçons nus, malmenée puis victime d’une tentative de fellation forcée.

Dans cette pièce de théâtre du jeune Dino PEŠUT (né en 1990), des lycéens se dévoilent tour à tour, après visionnage des vidéos. Se côtoient cinq élèves en plus de Marija, certains sont homosexuels, certains en dérive sociétale, suicidaires ou accrocs à la came. Les échanges sont francs, nets, parfois violents, dans une langue très orale mais présentée comme de la poésie :

« Cela arrive tout le temps,

Vraiment tout le temps.

Partout.

Une fille revêt une jupe courte

Et c’est de sa faute.

La fille stoïquement doit accepter la main sur la cuisse,

Les taquineries

Et un si petit viol en passant

Quand NON signifie PEUT-ÊTRE.

Car nous avons cela dans la société

Et l’éducation ».

Vient la culpabilisation : n’est-ce pas à cause de l’un des élèves, de plusieurs, qu’un tel drame a pu survenir, alors que se nouent parallèlement des affinités, des amitiés voire des amours entre les protagonistes ? Dans ce texte moderne et sensible, c’est bien la jeunesse croate qui est auscultée, la violence quotidienne dont elle est victime, un monde dans lequel il lui est difficile de trouver sa place, de se projeter. Pièce brève et percutante, elle atteint son apogée en fin de texte lorsque Marija, la jeune victime des prédateurs sexuels, prend la parole.

Entre temps viennent régulièrement sur scène les Érinyes issues de la mythologie grecque, qui donnent leur nom au présent livre. Elles sont trois, comme les violeurs, chignons dressés, jeunes lycéennes issues sans doute de familles chrétiennes, rigoristes et puritaines. Elles voient le mal, non pas où il est, mais dans le comportement des jeunes filles, elles représentent la part conservatrice, intolérante et persécutrice du peuple, celle qui condamne les victimes, celle qui damne l’homosexualité ou le féminisme.

Cette pièce écrite en 2015 aurait initialement dû s’intituler « 4 VIDÉOS – Tragédie lycéenne ». Elle brille par son humanisme, sa lucidité et son espérance cachée sous la désillusion et malgré le titre. Elle vient de sortir aux éditions L’espace d’un Instant, préfacée (avec un bout d’autobiographie énigmatique de l’auteur) par Lada KAŠTELAN, femme de théâtre croate, et traduite par le franco-croate Nicolas RALJEVIĆ. Quant à l’incipit, il est tiré, en anglais, d’une citation de l’immense John CASSAVETES.

« Ça brûle,

Mais ça passera.

Tout passe ».

https://www.sildav.org/editions-lespace-dun-instant/presentation

(Warren Bismuth)

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