dimanche 19 février 2023

Marie COSNAY « Des îles : Lesbos 2020 – Canaries 2021 »

 


Premier volet d’un triptyque en cours sur le quotidien et les luttes de migrants pour obtenir le droit de vivre en exil, il est le fruit d’un long et harassant travail de terrain mené par Marie COSNAY, résolument engagée dans l’aide au migrants et leur défense.

Marie COSNAY ne se contente pas de guider les réfugiés dans leurs lourdes démarches administratives, elle se rend aussi sur place, discute avec eux, observe leurs conditions de vie, les réactions des populations comme des autorités. Elle dresse des portraits de celles et ceux qu’elle a plus particulièrement suivis, décrivant une administration pour le moins kafkaïenne, selon les pays, les frontières, mais aussi à partir d’une certaine année 2020, où un virus malveillant est passé par là.

L’engagement est total, Marie COSNAY donnant de sa personne pour une lutte qui ne peut que susciter une profonde admiration. Elle décrit en détail ce qu’elle voit, entend, retranscrit des dialogues, des témoignages précieux, rappelant toutefois l’inventivité et « l’ingéniosité » des mesures draconiennes prisent par certains pays pour combattre les arrivées de migrants : « … la Grèce va construire une clôture flottante de deux kilomètres sept pour empêcher les bateaux d’atteindre les îles de la mer Égée grecque. La clôture fera cent dix centimètres de hauteur, soixante centimètres sous l’eau et cinquante centimètres sur l’eau. Équipée de feux clignotants, elle sera destinée à être déployée à l’extérieur de Lesbos, et plus tard à l’extérieur de Chios et de Samos. Prix estimé : cinq cent mille euros ».

L’autrice dépeint les difficultés, les obstacles, la répression, la complexité pour obtenir des papiers officiels, revient sur le rôle des passeurs, souvent peu scrupuleux des lois et de la sécurité des passagers, n’oublie pas de témoigner sur les rixes dans les ports ou les camps. Car ces réfugiés s’entassent en transit, dans des camps nauséabonds jonchés d’immondices, c’est le prix à payer pour se sentir en sécurité loin de ses terres fuies pour cause de guerre, de situation économique déplorable, de corruption du pouvoir en place, etc.

Dans ce premier volume, direction la mer Égée et l’île de Lesbos entre Turquie et Grèce, focus sur les îles Canaries, escale entre Afrique et Europe, le détroit de Gilbraltar ou encore Lampedusa. Et toujours les mêmes images : souffrance, errance, répression. Et attente. Attente d’un titre de séjour, d’un bateau sur lequel embarquer, mais aussi attente de nouvelles d’un membre de la famille, a-t-il coulé en mer ? Car ce sont des naufrages sans fin, dans les mers et les océans, sur des embarcations de fortune, pour une Terre Promise que certains ne verront jamais. Tragédie quotidienne. Et cette attente pour ceux qui ont la chance de voir leur voyage aboutir, patienter pour obtenir l’autorisation d’accoster. Un parcours impressionnant du combattant.

Il y a ces scènes de rue, brèves mais éloquentes, « Avant l’enregistrement, c’est un délit d’aider ». Ne pas s’effondrer devant des familles séparées, ces drames incessants, les prix des passeurs qui flambent selon les points géographiques ou la situation sanitaire, ne pas s’effondrer devant les longues attentes de visas, les conditions de vie en camps, les chemins pris et ressemblant parfois à des couloirs de la mort.

Et Marie COSNAY ne s’effondre pas car il y a les associations de bénévoles, l’aide humanitaire, la solidarité malgré les risques, les pressions, les attentes (encore et toujours). Elle ne s’effondre pas car des migrants actifs sur les réseaux sociaux partagent des vidéos, des textes malgré la censure, des images de camps de transit à l’air libre, tout ce qui est caché ailleurs car inconcevable. Elle ne s’effondre pas malgré les échecs, des exilés renvoyés chez eux, OQTF : Obligation de Quitter le Territoire Français. Ou d’autres territoires d’ailleurs.

« Les démarches n’aboutissent pas. Jour après jour, auprès des différents sièges de la Croix-Rouge, journalistes, ONG, ma question est simple : y a-t-il eu un naufrage les 21 ou 22 septembre dans la mer d’Alborán ? Je ne savais pas, alors, qu’à cette question personne ne pouvait répondre par oui ou non ».

Des témoignages précieux, ici restitués au plus près, malgré la pandémie, les risques, les intimidations. Dans cet ouvrage, Marie COSNAY prouve que la solidarité n’est pas une fiction. Chapeau bas madame. Ce livre dur mais nécessaire est paru en 2021 aux éditions de l’Ogre. Le deuxième volume vient d’ailleurs de paraître à son tour chez le même éditeur.

https://editionsdelogre.fr/

 (Warren Bismuth)

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