mercredi 3 mai 2023

Annie ERNAUX « Le jeune homme »

 


J’ai étrangement découvert l’œuvre de Annie ERNAUX récemment et par le biais de textes lus. J’en viens à compléter son exploration par de « vraies » lectures. Je ne vous ferai pas l’affront de vous présenter cette grande dame de lettres, lauréate du Prix Nobel de littérature en 2022 (attribution qui suscita par ailleurs des réactions quelque peu explosives et grotesques, surtout de la part du public masculin, peut-être considéré comme émasculé).

L’espace littéraire de Annie ERNAUX est à la fois simple et multiple : se mettre en scène dans une autofiction intimiste qui s’étend peu à peu sur l’universel. C’est aussi une documentation dense sur la société française de la seconde moitié du XXe siècle et le début du XXIe. Cependant il serait faux de la ranger aux côtés des œuvres de SIMENON ou BALZAC par exemple puisqu’elle est en partie autobiographique, posant ses jalons dans le vécu pour ensuite se glisser dans le monde contemporain. L’oeuvre de Annie ERNAUX peut être vue comme une fresque gigantesque de ces 70 dernières années.

« La jeune homme » est paru en 2022. Le hasard a voulu que juste avant de l’entamer, je venais de refermer « Passion simple » (de 1991) auquel il ressemble étrangement et semble même faire écho. Là aussi, la narratrice fait part de son expérience amoureuse, amante d’un homme déjà engagé dans une autre relation. Ici ce jeune homme a 30 ans, elle 54. Ils se voient du côté de Rouen, non loin de la ville natale de la narratrice, font l’amour sur fond de The Doors, s’ébattent dans une liaison qui pourtant paraît sans issue. En effet, lui est atteint d’une jalousie maladive : « Il m’accusait d’avoir reçu un homme chez moi parce que la lunette des toilettes était relevée ».

L’homme est pauvre, elle plutôt socialement à l’aise, mais il lui rappelle sa propre jeunesse. Elle se positionne en dominante car elle est parvenue à grimper les échelons de la pyramide sociale, et la reconnaissance. « J’aimais me penser comme celle qui pouvait changer sa vie ».

Dans ce roman bien trop bref (38 pages aérées, pas une de plus), Annie ERNAUX ne développe pas l’universel (ou très peu), se contente de décrire un état intérieur. Elle fait pour ceci appel aux arts et à l’intime. Sur la vérité de son désir à lui : « Or, non seulement elle soulignait que, jeune, je ne l’étais plus, mais elle l’excluait de cette catégorie que je lui désignais, comme si d’être avec moi l’en avait détaché ».

« Le jeune homme » est un texte sur l’amour entre deux êtres d’une génération différente, sur la difficulté de s’allier, de regarder dans la même direction. L’écriture peut paraître austère, est infiniment resserrée, réduite à l’essentiel, un seul mot supprimé et c’est tout l’édifice qui s’effondre, d’où la nécessité de bien tout lire, lentement, sans aucune précipitation. Ici, la lutte féministe à laquelle nous a habitués l’autrice n’est pas prégnante, à peine évoquée. Décidément, ce récit est trop court, il ne nous laisse pas le temps d’y entrer de plain-pied, nous donnant un léger sentiment de vide. L’œuvre de Annie ERNAUX est pourtant un tout (d’où ma réflexion à propos de SIMENON et BALZAC), chaque livre en étant des chapitres. Celui-ci n’est pas son meilleur, il est pourtant une page supplémentaire de cette construction colossale entamée il y a près d’un demi-siècle.

 (Warren Bismuth)

2 commentaires:

  1. L'œuvre d'année ERNAUX vaut le détour mon cher

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Des Livres Rances7 décembre 2023 à 13:50

      Je continue à la découvrir et elle est en effet de poids.

      Supprimer