mercredi 10 mai 2023

Louise ERDRICH « LaRose »

 


Je découvre enfin cette autrice americano-germano amérindienne, qui a construit son œuvre sur la vie et le destin des peuples amérindiens aux Etats-Unis. Le présent roman se déroule dans une réserve Ojibwé du Dakota du nord, et prend place à la toute fin du siècle numéro vingt.

LaRose est un jeune garçon dont le surnom se transmet depuis des générations. Toute la réserve est à l’affût du bug annoncé de l’an 2000 qui devrait frapper tous les matériels informatiques et peut-être prédire la fin du monde, alors que le peuple Ojibwé vit encore de ses coutumes ancestrales, ses croyances et son mysticisme. Landreaux, un Ojibwé, est à la traditionnelle chasse au cerf, espérant ramener de quoi manger à sa famille. Cependant, ce n’est pas un cervidé qu’il atteint, mais bien le jeune fils de cinq ans d’un couple d’amis, les Ravich. L’enfant décède. Or, la tradition veut qu’un homme qui a tué un enfant doit fournir sa propre progéniture à la famille endeuillée, comme en offrande. Aussi, les Landreaux doivent se séparer de leur fils, LaRose, et l’offrir aux Ravich.

Dans un roman ample dépeignant une fresque lente de la vie dans les réserves amérindiennes de la seconde partie du XXe siècle (mais mordant sur le XXIe siècle), Louise ERDRICH fait preuve d’une grande maîtrise pour faire évoluer ses personnages, nous guidant par de savants va-et-vient entre la fin des années 60 et le monde (presque) contemporain.

C’est surtout le roman d’un peuple qui souffre. Les Etats-Unis veulent faire des amérindiens de vrais citoyens chrétiens. Ainsi, ils envoient leurs enfants dans des écoles religieuses, dures et autoritaires, où les pauvres gosses sont soumis avec violence à leur nouvelle éducation. Récit déchirant d’un peuple qui lutte pour ses idéaux, dont nombreux sont ceux qui périssent par le froid dans la réserve. Louise ERDRICH est une grande conteuse, n’abandonnant jamais ses protagonistes, rappelant un héritage généalogique et spirituel si loin du monde des Blancs pour lesquels le seul but est de « Exterminer ou éduquer ».

Louise ERDRICH raconte six générations se succédant au rythme des saisons, mais aussi à celui des obligations mises en place par les gouvernants. Mais c’est bien loin d’être un roman cadenassé dans un lieu clos. La figure de Saddam HUSSEIN, celle de BEN LADEN et plus globalement l’Histoire récente des Etats-Unis se développent en parallèle. L’objectif des Ojibwé, en plus de celui de simplement survivre aux conditions extrêmes de leur existence, est bien la transmission de croyances indiennes, de leur culture ancestrale.

Le style est d’une grande lenteur, dans une écriture classique. Pourtant certaines images viennent détonner par l’audace de certains mots : « Ce n’était peut-être pas courant qu’un gars pose cette question à un autre. On l’avait raccordé de partout à des tuyaux, comme un vieux chiotte. Mourir aussi lentement, c’était d’un tel ennui ».

Chaque génération de la famille a eu droit à son LaRose. Le dernier, celui qui nous occupe dans ce récit, est ballotté de droite à gauche, impuissant devant un tel acharnement à lui faire perdre ses repères. Pourtant c’est le visage d’un ange que l’on croit voir, celui d’un saint qui semble tout accepter, saint qui pourrait bien être doté d’un pouvoir : « Ce pouvoir remonte à la première La Rose ; il lui a été transmis par sa mère, du temps où elle s’appelait encore Mirage, sa mère qui, pour sa part, l’avait reçu de son père, un sorcier jiisikid qui, en 1798, avait promené son esprit tout autour du monde, puis était venu raconter à ses chanteurs stupéfaits qu’il n’y avait juste plus rien à faire : les Blancs infestaient la terre comme des poux ». Pourtant, le but ultime est celui de ne pas se venger. Mais les Ojbiwés y parviendront-ils ?

Ce roman est d’une certaine difficulté à suivre de par ses allers et retours dans le temps, ses LaRose qui se succèdent, mais aussi parce que nous, culturellement, nous n’avons pas toujours les données pour suivre les réflexions empreintes de spiritisme indien (j’ai écrit « mysticisme » plus haut, mais s’il l’est à nos yeux, la réflexion est sans doute bien plus profonde dans leur esprit), et la lecture pourrait nous sembler une fable fantastique, ce qu’elle n’est pourtant pas du tout, traçant avec méticulosité un monde « parallèle » pourtant bien réel aux yeux des indiens. Ces plus de 500 pages ne s’avalent pas d’une traite, elles sont fouillées et il ne faut pas perdre sa boussole en cours de route. Roman sorti en 2018, il est le dernier volet d’une trilogie qui pourtant ne semble pas se suivre, paru dans la superbe collection Terres d’Amérique de chez Albin Michel.

 (Warren Bismuth)

2 commentaires:

  1. Bonjour,
    je n'ai lu que "La chorale des maîtres bouchers" de cette écrivaine, et j'ai beaucoup aimé, c'est un roman qui fait une très belle place à ses héroïnes.
    Et si tu me le permets, je récupère le lien vers ce billet pour l'ajouter au récapitulatif de l'activité "Lire (sur) les minorités ethniques" que je propose depuis décembre 2022, sur un an (https://bookin-ingannmic.blogspot.com/2021/12/lire-sur-les-minorites-ethniques-le.html).

    Bonne journée,

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    1. Des Livres Rances13 mai 2023 à 04:52

      Merci beaucoup pour ton intérêt et ton soutien, très heureux que ce lien soit relayé !

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