dimanche 10 décembre 2023

Georges SIMENON « L’homme au petit chien »

 


Je lis encore souvent SIMENON, mais je ne fais état que de peu de ces lectures sur le blog pour ne pas surcharger les propos. Cependant, de temps à autre, un de ses ouvrages me semblant plus nécessaire apparaît sur le blog. C’est le cas pour « L’homme au petit chien ».

Roman écrit en 1963, il dépeint un homme, Félix Allard, au seuil de la cinquantaine et par ailleurs narrateur du récit conté en partie au présent, détails intéressants quand on sait que SIMENON a souvent employé pour ses romans la troisième personne dans un temps passé. Le « je » au temps présent renforce un peu plus l’intrigue, la rend immédiate, actuelle, et c’est peut-être un atout supplémentaire de l’œuvre (je pense aussi à « En cas de malheur » qui utilise la même structure, mais ce n’est pas le seul).

Félix Allard est commis dans une librairie parisienne tenue par la vieille madame Annelet, de plus en plus impotente. Dans un monologue intérieur puissant et précis, il se souvient du temps passé et prend des notes dans un cahier bleu (le second sera jaune), comme dans un carnet intime. Allard est toujours accompagné de son chien de cirque, Bib. Tout d’abord, c’est par l’entremise de bribes de conversations avec sa patronne que nous découvrons la parcours du commis, puis peu à peu, celui-ci se livre, s’auto-analyse. Nous apprenons soudain qu’il a été emprisonné par le passé (nous ne connaîtrons les circonstances qu’à la toute fin du récit). Allard a été marié (il l’est toujours puisque le divorce n’a jamais été prononcé) et père de deux enfants.

C’est à sa sortie de prison qu’il a décroché son emploi actuel. À ses heures perdues et de loin, il espionne sa femme Anne-Marie et ses enfants, avec qui il a vécu six ans, dans leur quartier. Seulement, huit ans après sa sortie de prison, son passé le rattrape, comme une gifle en pleine figure. Il est temps de faire le bilan de sa vie.

Allard fut un homme jaloux, possessif, dominant. Aujourd’hui il paraît indifférent à tout, au bonheur comme à la souffrance. Même la seconde guerre mondiale ne l’a pas tellement bouleversé (on pourrait y voir une sorte de début d’autobiographie). Sonne l’heure des reproches, il n’a pas été tendre ni tolérant avec ses proches.

« L’homme au petit chien » me semble un roman important dans la gigantesque œuvre de SIMENON. Il pourrait être une sorte de résumé succinct de celle-ci. On y voit « L’homme nu » cher à l’auteur, dans une analyse psychologique vertigineuse. Il balaie des décennies entières du XXe siècle alors que la plupart des romans se contentent généralement d’exister dans un temps donné, souvent celui où ils furent créés. Mais ce roman est aussi celui du regret, de ce que le narrateur n’a pas osé faire dans son existence. Comme souvent chez SIMENON, le personnage se sent seul, oublié. Et ici ce n’est que la présence de son petit chien qui le raccroche à la vie, qui tempère le climat étouffant.

Ce roman est impressionnant dans sa structure narrative, dans ses va-et-vient entre passé et présent, dans ses pensées intimes sur le futur, dans ses seconds rôles, d’anciennes connaissances, qui entrent soudain en scène et donnent une épaisseur à l’action, d’autant qu’ils prennent rapidement une part active à l’intrigue, cruciale même. Ce texte est celui d’un homme blessé, désenchanté, qui n’attend plus grand-chose de la vie, jusqu’à la toute dernière page, une coupure de journal dans la rubrique « faits divers » qui vient clore le drame.

Il n’est peut-être pas nécessaire de lire les 117 « romans durs » de l’œuvre de SIMENON écrits sous son propre nom, mais celui-ci restitue à merveille tout l’univers du romancier. Si vous n’avez jamais lu SIMENON, il peut être intéressant de commence par celui-ci pour bien vous familiariser avec cette atmosphère unique et terriblement addictive.

« Pour une femme, je suis un ancien mari, pour une jeune fille et un jeune homme, un père dont ils se souviennent à peine et de qui on ne doit pas parler ».

 (Warren Bismuth)

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