mercredi 17 janvier 2024

Judith PERRIGNON « Notre guerre civile »

 


Petit détail primordial pour comprendre la suite : c’est en se documentant sur ce qui allait devenir son « Victor Hugo vient de mourir » en 2015 (récit sur la mort et l’enterrement de l’écrivain, ouvrage par ailleurs tout à fait recommandable) que Judith PERRIGNON a « croisé » la figure de Louise MICHEL, l’éternelle révoltée. S’étant intéressée à son parcours, elle se documente, jusqu’à cette présente biographie de l’anarchiste féministe, biographie qu’elle fait commencer en septembre 1871, alors que Louise MICHEL attend son procès pour sa participation active à la Commune de Paris quelques mois auparavant. Puis reprend par petites touches ce que fut sa vie avant cet événement déclencheur dans ses idéaux et sa résolution à devenir une militante acharnée.

Le problème est que Judith PERRIGNON dépeint Louise MICHEL par deux procédés qui peuvent paraître maladroits. Tout d’abord par l’ombre écrasante de Victor HUGO sur lequel l’autrice avait déjà travaillé et dont elle semble porter une admiration sans bornes. Ainsi HUGO ne cesse de surgir. Il est vrai qu’il a connu Louise MICHEL, qu’ils ont correspondu durant trois décennies, mais ceci ne suffit pas, loin de là, pour le faire piétiner si sauvagement le récit. J’y reviendrai. De plus, bien sûr Judith PERRIGNON s’est longuement documentée pour dresser cette biographie, et ce qui en ressort, ce n’est pas une analyse de la documentation récoltée, mais bien la documentation elle-même, c’est-à-dire de (trop) longs et (trop) nombreux passages, livrés abruptement, comme sans discernement, entre guillemets.

Si Judith PERRIGNON a souhaité écrire une biographie de Louise MICHEL, c’est aussi pour remémorer la portée de ses paroles, de ses actes. Mais le résultat est une sorte de suites de livres de la bonne Louise, d’écrits (judiciaires ou non) de ceux qui l’ont croisée, sans en changer une virgule. Sentiment pour le lectorat d’être devant un patchwork, une sorte de « best of », les bons moments à lire sur la vie trépidante de Louise MICHEL. S’il est indéniable que n’étant pas un documentaire sur la Commune de Paris, ce texte ne doit que l’évoquer brièvement au milieu de tant d’autres, il est pourtant curieux que l’autrice n’ait rempli que quelques pages sur le rôle de Louise MICHEL durant cette insurrection, alors que c’est bien ici qu’elle est « née » politiquement, en tant que féministe, républicaine et anarchiste. PERRIGNON préfère convoquer HUGO tant et plus. Louise MICHEL aurait mérité plus d’égards.

En amenant HUGO sur le devant de la scène, l’autrice détourne notre regard, mais aussi le sien. Plus embarrassant : elle fait exister Louise MICHEL par le personnage de HUGO, comme s’il avait influencé ses opinions politiques, la dénigrant, elle en tant que femme de conviction, comme si sans HUGO elle n’était rien, il écrase le récit, laissant Louise sur le bas côté. La preuve en est qu’il disparaît du texte… au moment de sa propre mort à lui, comme s’il avait été le personnage principal du roman (de cette biographie romancée plutôt) jusqu’à sa disparition et que la suite n’était qu’une succession de petits détails sans importance.

Par cette omniprésence Hugolienne, Judith PERRIGNON commet une erreur majeure : elle ne fait qu’évoquer des parties cruciales de la vie de Louise MICHEL, les bâcle en quelque sorte. Elle n’aborde que brièvement le portrait de Théophile FERRÉ, l’éternel compagnon de lutte, qui sera pour Louise bien plus qu’un camarade, en tout cas dans son cœur et qui, tellement plus que le vieil HUGO, va influencer toute la suite de la vie de Louise MICHEL par-delà la mort (celle de FERRÉ par son exécution à Satory). Il en est de même en fin de volume pour la tentative d’assassinat lors d’une conférence. Un homme tire sur Louis MICHEL, à peine blessée, elle lui pardonne. La suite est admirable de compassion et d’altruisme, mais nous n’en sauront rien ici, Judith PERRIGNON se contentant du factuel, en somme de manière absolument contraire que lorsque HUGO s’invite en ses pages.

De la déportation de la militante anarchiste en Nouvelle Calédonie, nous ne saurons presque rien, contrairement à cette rumeur infondée (et somme toute détail infime de la vie de Louise) d’une possible relation charnelle qu’elle aurait eu avec… je vous le donne en mille… Victor HUGO. L’autrice passe plus de temps à écrire sur ce micro événement « people » que sur sa déportation qui dura pourtant six ans.

Pour autant, si tant est que vous êtes novices sur ce que fut Louise MICHEL, ce bouquin comporte quelque intérêt, bien que vous auriez pu obtenir les renseignements ailleurs, sur une simple page Wikipédia par exemple. Par ses « copié-collé » de documents existants, Judith PERRIGNON réalise le minimum syndical, un recueil de textes, cimenté avec parcimonie par sa plume à elle, alors que sans doute elle pense à HUGO. Quant à la fin du récit, soit après le retour de la révolutionnaire sur le sol européen et jusqu’à sa mort, PERRIGNON déterre les rapports de police la concernant. Car Louise MICHEL était très surveillée.

En revanche, elle ne le fut pas assez par Judith PERRIGNON qui dresse la bibliographie ayant servi à ce travail. Résultat : cinq livres (dont la correspondance avec un certain Victor H. bien entendu). Pas un de plus. En voulant ressusciter Louise MICHEL, PERRIGNON la repousse dans son cimetière de Levallois-Perret. Je finirai en paraphrasant l’autrice mais concernant le goût que m’a laissé la lecture de ce livre paru en 2023 : « Son nom flotte désormais dans l’air tel un ballon rouge détaché du socle de son époque, de ses convictions, des faits et des détails de sa vie, elle sera nette et floue à la fois ».

(Warren Bismuth)

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