dimanche 18 février 2024

Fernando PESSOA « Le marin »

 


PESSOA a lui-même sous-titré cette très brève pièce de théâtre « Drame statique en un tableau ». En bref : ne venez pas vous perdre ici si vous souhaitez de l’action. « Le marin » présente trois veilleuses dans la pièce ronde d’un château au bord de la mer, en son centre un cercueil. Les veilleuses sont assises et échangent. « Parlons, si vous voulez, d’un passé que nous n’aurions pas eu ». Et tout PESSOA est là. Réflexions métaphysiques à la lisière de l’absurde dans un temps suspendu (le décor ne comporte d’ailleurs aucune horloge).

« Le marin » est un voyage immobile, l’un de ces voyages chers à PESSOA. L’une des veilleuses préfère le nommer « Aventure intérieure » tandis qu’elles discutent de leur enfance, surtout de celle qui n’eut pas lieu. Et cette scène saugrenue, où les trois femmes parlent tant et plus pour dire qu’elles devraient se taire.

« Il fait toujours loin dans mon âme », nouvelle évocation du voyage immobile, où l’âme quitte le corps. La deuxième veilleuse évoque alors un rêve dans lequel elle a vu un marin, les deux autres l’encouragent à persévérer dans son récit alors que le jour va bientôt se lever. En quelques dizaines de pages seulement, PESSOA enchante et bouleverse.

Un texte vide, sans aucun mouvement, dans lequel rien ne se passe. Et pourtant le génie de PESSOA, pour habiller ce « rien », en faire un poème épique théâtral et polyphonique. Il fut rédigé les 11 et 12 octobre 1913 (reprit d’un manuscrit antérieur serait plus juste), six mois avant « l’illumination » du « Gardeur de troupeaux » (durant laquelle PESSOA raconte avoir quitté son corps et composé frénétiquement, debout pendant des heures, sans aucun contrôle, son recueil). « Le marin parut tout d’abord dans la revue Orpheu en 1915. Nous devons la présente traduction à Bernard SESÉ, la préface très éclairante étant signée Augusto SEABRA. Il n’est pas aisé d’avoir accès au théâtre de PESSOA, écrasé par ses poèmes ou « Le livre de l’intranquillité ». Pourtant, il est égal au reste de l’œuvre, il est à découvrir. Ici ce sont les éditions José Corti qui sont à la manœuvre, dans une publication bilingue de toute beauté, réédition de 2007.

https://www.jose-corti.fr/

 (Warren Bismuth)

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