mercredi 21 février 2024

Maxime GORKI « Les vagabonds »

 


S’agissant de littérature russe, il est parfois peu aisé d’être en mesure de dater des écrits et de surcroît dresser une bibliographie à peu près correcte d’un auteur pourtant célèbre. C’est le cas pour GORKI : la liste de ses nouvelles semble un vrai casse-tête à dénicher (si vous la possédez, faites signe !), quant aux dates de rédaction, n’en parlons pas. Ces quatre longues nouvelles pourraient bien avoir été écrites au début du XXe siècle (mais ce pourrait être aussi à la fin du XIXe), et un thème principal les relie, une figure : le vagabond.

« Malva » met en scène un fils qui n’a pas revu son père depuis cinq ans. Il va lui rendre visite en compagnie de sa maîtresse tandis qu’un vagabond surgit et qu’un triangle amoureux se forme. Misère des petites gens russes sur fond de romantisme très XIXe siècle, cette nouvelle d’aspect classique use des images caractéristiques de la romance. C’est pour mieux laisser à la place à « Konovalov », une nouvelle exemplaire et fascinante. Dès le début on sait que le personnage central est retrouvé pendu. C’est un de ses amis qui dresse le parcours de cet homme à qui il a lu de si nombreux extraits de romans à voix haute. Konovalov, cet ivrogne errant curieux de tout, qui va faire basculer la vie du narrateur. « En lui commençait à parler l’instinct du nomade, son éternel désir de liberté sur lequel on empiétait ». Nouvelle exemplaire et émouvante sur l’amitié et le refus de parvenir, sur l’honnêteté, le sens de la vie, elle est très impressionnante par sa force, sa puissance. Elle nous fait subitement comprendre pourquoi plus tard Panaït ISTRATI fut désigné comme « Gorki des Balkans ».

Ivrogne l’est aussi chez « Tchelkache », héros de la troisième nouvelle. Voleur également. Au gré des interrogations et rencontres de son personnage, GORKI compose une nouvelle interrogeant la valeur du travail et le rôle de l’argent dans la société, du matérialisme. Nouvelle puissante qui brandit à bout de bras le mot « Liberté ». La dernière nouvelle, « Mon compagnon », la plus brève, est en partie maritime et se dessine en dialogue entre un ancien prince et un sans-le-sou, qui finissent par sympathiser malgré une certaine hostilité au départ du récit. Cette nouvelle est un hommage appuyé à l’entraide, à l’humanisme, à l’altruisme.

Les trois premières de ces quatre nouvelles pourraient aujourd’hui être rangées dans la catégorie « novellas » tant elles sont riches et amples, longues aussi. Elles mettent en scène plus que de simples vagabonds paumés, mais bien de véritables révoltés porteurs d’un idéal de vie utopiste et débarrassé de tout superflu. C’est peut-être ce qu’il faut lire de Gorki en priorité pour bien comprendre ce qu’il fut dans sa jeunesse, ces nouvelles étant en partie autobiographiques. Le problème est que, bien qu’ayant été abondamment rééditées en France dans la première partie du XXe siècle, elles le furent pour la dernière fois, si mes informations son correctes, en 1991, autant dire un bail. Je vous invite à les chiner, ainsi vous serez au cœur de la raison qui a amené GORKI à écrire, à devenir le porte-parole des sans-voix.

La traduction est signée Ivan STRANNIK. J’ai personnellement lu ce recueil dans une vieille édition de 1966. La même année et chez le même éditeur, parut un autre recueil de nouvelles, « En prison ». Il reprend la figure du vagabond, mais se fait bien plus varié quant à la palette des sujets traités par GORKI. Onze nouvelles plutôt courtes y sont proposées. Si vous avez l’occasion, arrêtez-vous sur la dernière nouvelle, « Par une nuit de tempête », où des personnages créés puis tués par GORKI dans ses fictions, viennent demander des comptes à l’auteur alors en pleine crise. Nouvelle d’une force monumentale.

 (Warren Bismuth)

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