mercredi 17 avril 2024

Jacques JOSSE « Trop épris de solitude »

 


Jacques Josse poursuit le tissage de son œuvre. Après plus de 40 ans de publications et 40 livres, il a toujours bon pied bon œil et ce nouveau recueil en est une preuve. Jacques Josse possède son monde propre, son atmosphère unique, il est reconnaissable entre tous. « Trop épris de solitude » est une nouvelle pierre à l’édifice.

Dès l’entame, on imagine le voyage houleux : « Je suis de retour, dit-il à l’homme qui l’invite à prendre place sur le divan. Je rentre après deux siècles d’errance ». Puis l’auteur déroule sa prose, sa poésie, avec ses mots, ses familiarités, ses habitudes, ses obsessions. Hommages aux trépassés, à ceux péris en mer, brefs retours sur des faits divers ruraux, d’un autre temps, d’un autre siècle. Des petits drames, des instants où la vie bascule à tout jamais, ce dont se souviennent les autochtones, par transmission de génération en génération, de petites histoires qui s’offrent comme des contes, des légendes.

Des personnages de l’œuvre resurgissent subrepticement, tel ce veilleur de brume. Et ces instantanés du quotidien, que l’on a peut-être vécus ailleurs, mais en d’autres termes, sans doute sous d’autres cieux.

« Ceux qui sont dans mes livres

font un bout de route en sa compagnie »

tout comme ceux qui les lisent. Car l’œuvre de Jacques Josse est abondante sur ses galeries de portraits, criantes de vérité. Des sans voix, sans grade, ces anonymes qui peuplent l’univers de Josse. Ceux de la Bretagne profonde, loin des villes, du tumulte, presque loin du présent, déjà dépassés par leur passé, ils sont pourtant une page du folklore local. Folklore que Josse s’emploie à ranimer par sa plume ardente, tendre et délicate, mais qui sait crocheter en cas de coup dur.

Josse n’oublie jamais « ses » revenants, les marins morts noyés qui réapparaissent dans le fond des mers. Visions, hallucinations. Et renaissance éclair d’un monde lui aussi englouti à tout jamais : « La zone où il pointait chaque jour avec dix mille autres a été rasée. Seule son histoire demeure, tapie au creux des friches. La sueur de ceux qui y ont travaillé est entrée dans la terre. Elle a coulé sous les gravats, le béton fissuré, la ferraille rouillée. Elle s’est mêlée à la sève et suinte souvent sous forme de rosée ou de brume ». Résurgence des grèves d’antan, des luttes sociales.

« Trop épris de solitude » est peut-être le recueil le plus désenchanté, en tout cas l’un des plus exposés à la mélancolie, à la faillite de notre histoire. Les éditions Le Réalgar, coupable de ce très joli livre dans leur splendide collection l’orpiment, ont eu la très bonne idée d’intégrer en bonus les quelques pages du somptueux recueil « Au célibataire, retour des champs », originellement publié en 2015 aux éditions Le Phare du Cousseix, brefs textes écrits entre fin 2013 et début 2014. Ils permettent de prolonger le plaisir.

https://lerealgar-editions.fr/

(Warren Bismuth)

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