mercredi 21 août 2024

James WELCH « C’est un beau jour pour mourir »

 


Un documentaire nécessaire, terrifiant autant que passionnant. Les années 1865 à 1890 aux Etats-Unis (même si le présent livre remonte même jusqu’à certains épisodes dès 1775) du côté de l’ouest et surtout du Montana. Le génocide du Peuple Autochtone, peut-être là plus qu’ailleurs, est en marche.

James Welch (1940-2003), écrivain amérindien, par ailleurs auteur de quelques romans, s’est documenté afin de récolter suffisamment d’informations de premier plan pour proposer une histoire parallèle des Etats-Unis, l’une de celles que l’on tait habituellement. L’Histoire de ce pays ayant été écrite par les Blancs, le but de James Welch est de rétablir un certain équilibre, d’en finir avec l’héroïsme blanc pour bien mettre en exergue le massacre du peuple amérindien dans sa quasi totalité.

James Welch est né dans le Montana (un Etat, je le rappelle, grand comme 2/3 de la France), c’est là qu’il choisit de puiser ses documents, de faire revivre une Histoire méconnue. Il prend les premiers exemples de massacres dès 1775, ceux-ci s’intensifiant considérablement dans la seconde moitié du XIXe siècle, pour atteindre une sinistre apogée vers les années 1870. Les méthodes changent, deviennent de plus en plus radicales. Ainsi on inocule la variole dans des villages autochtones par des couvertures préalablement infectées. Beaucoup de villages pourtant pacifiques sont décimés par l’armée et les épidémies provoquées sciemment.

L’auteur se focalise un instant sur les Pikunis, appartenant à la tribu des Blackfeets, en vient à rechercher sur le terrain le massacre de la Marias (1870), inconnu ou oublié chez nous. Les massacres sont en outre presque toujours provoqués selon les mêmes arguments : « L’origine en est évidente : les Indiens habitaient des territoires que les Blancs convoitaient. La plupart des conflits de ce type se produisent lorsqu’une culture particulière désire obtenir quelque chose d’une autre. Et l’on est toujours stupéfait quand on constate que la culture qui veut s’imposer a le sentiment d’avoir un droit divin (qu’on lui donne le nom de ‘destinée manifeste’ ou tout autre) de prendre à l’autre ce qu’elle convoite, c’est-à-dire, ici, la terre ». Puis l’auteur fait revivre la bataille de la Rosebud, celle de la Washita, autant de combats déclenchés par les Blancs envers le Peuple natif au XIXe siècle.

James Welch s’attarde avec raison sur les figures tutélaires de cette véritable guerre, dressant des portraits soigneux : George Armstrong Custer (tué lors de la bataille de Little Bighorn en 1876, une défaite cuisante pour les Blancs, qui entraînera de longues et violentes représailles), Sitting Bull (dont l’auteur évoque avec respect les conditions de l’avènement) ou encore Crazy Horse.

La Résistance Indienne aura-t-elle été vaine ? Non, car dans les années 1970, cent ans après certains massacres, le peuple indien se lève à nouveau, prêt à faire valoir ses droits (un traité de 1868, jamais appliqué) sur des terres qui leur ont été volées. Le grand intérêt de ce livre réside dans le champ d’action de James Welch : il déborde du génocide indien pour montrer comment il fut traité de manière post-mortem : dans les westerns hollywoodiens ou pour les touristes dans des reconstitutions de bataille sur les terrains même de la lutte, à Little Bighorn notamment, où la vaillance des Autochtones est presque éludée. Cette bataille, Little Bighorn, Welch la décrit dans ses moindres détails, il la met en valeur car pour le Peuple indien elle est une victoire précieuse.

James Welch tient aussi à démontrer le rapport d’une grande force que son peuple avait avec la nature. Exemple saisissant : « Les Indiens chassaient le bison, ou pte pour reprendre le mot que les Lakotas utilisaient, et le considéraient comme leur soutien vital. Ils tuaient le bison dont ils honoraient l’esprit par des offrandes afin qu’il se montre encore généreux à leur égard la fois suivante. On ne laissait rien perdre : les sabots et le phallus fournissaient de la colle, la queue des chasse-mouches ou des ornements, les cornes des cuillères, des tasses, ou des cornes à poudre, la peau tannée des vêtements et des toiles de tipis ; avec le cuir on faisait des carquois et des cordes d’arc, ou on en recouvrait une selle ; les poils du menton servaient à fabriquer des longes, des licous, des brides, ou à rembourrer une selle ; des intestins on faisait de la saucisse, et du scrotum un hochet ; on gardait le crâne pour les cérémonies religieuses, ainsi que la langue, qui était un mets délicat fort apprécié ; un fœtus de bison faisait un excellent sac pour transporter du pemmican, des baies et du tabac ; on récupérait les os comme patins de luge, ou pour y tailler des dés, voire même un pinceau ; la bouse était un excellent combustible, et bien sûr, la viande de bison restait la nourriture de base ». C’est pourquoi les Blancs vont décimer les bisons, pour affamer les Indiens.

L’auteur revient sur les croyances, les coutumes des Peuples Indiens, sur les guerres entre tribus, car il serait faux de prétendre que les Indiens étaient tous des êtres pacifiques, non belliqueux. D’ailleurs, dans ce documentaire, Welch ne peint pas les Indiens tout d’une couleur, il s’efforce de bien montrer les nuances, il ne veut pas une caricature qui tendrait à la perfection de ses ancêtres.

Puis retour au XVIIIe siècle avec des massacres d’envergure qui se poursuivront jusqu’à la fin du XIXe siècle (achèvement à Wounded Knee), au terme de plus de 100 ans d’un génocide orchestré. Et comme si les Amérindiens n’avaient pas encore assez souffert, on enverra ensuite leurs enfants dans des pensionnats religieux pour les occidentaliser, tuer ce qu’ils ont d’indien en eux, les convertir par la force et l’humiliation, ces événements sortent d’ailleurs aujourd’hui de terre et il n’est plus rare qu’ils soient longuement évoquées, dans des livres par exemple. J’en ai déjà parlé ici et là.

Ce documentaire ambitieux, d’une grande valeur, se clôt par l’assassinat de Sitting Bull et le massacre de Wounded Knee pour lequel il ne consacre que quelques lignes, car le discours est ailleurs, plus ample en tout cas, et Wounded Knee n’en est que le dernier épisode tragique. Ce livre est une mine d’informations, une « contre-histoire » en quelque sorte. James Welch était de plus pour le moins doué pour manier le stylo, il en résulte un document d’une grande puissance tant sur le fond que sur la forme. Il parut tout d’abord en 1999 dans la prestigieuse collection Terre Indienne de chez Albin Michel, réédité en poche, même collection en 2022. Lisez-le, il est une expérience unique afin de mieux comprendre l’Histoire. James Welch a très peu produit, il est resté un écrivain rare et discret, raison de plus pour partager son œuvre et ce livre en particulier, l’un des sommets sur le génocide Indien.

(Warren Bismuth)

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