mercredi 18 septembre 2024

James WELCH « L’hiver dans le sang »

 


Avouez qu’il est plutôt curieux qu’un roman débute par ces mots : « Je pissai dans les hautes herbes du fossé ». Années 1960 et 1970 dans une réserve Blackfeet de l’Etat du Montana, un homme de 32 ans rentre chez lui où résident sa grand-mère et sa mère Teresa, fervente catholique. Le père, First Raise, est mort de froid dix ans auparavant. Le frère, Mose, a suivi un peu plus tard. Lame Bull vient d’épouser Teresa, il a huit ans de moins qu’elle. Quant au narrateur, il s’est entiché d’une fille qu’il a ramenée chez lui, mais la jeune femme s’est évaporée non sans l’avoir délesté d’un fusil et d’un rasoir électrique.


Voici donc la trame simple de ce premier roman de 1974. Le narrateur est un homme qui va devoir, par orgueil peut-être, retrouver la jeune femme disparue. Il erre dans des endroits malfamés du Montana, rencontre des ivrognes, des accidentés de la vie, des vagabonds, des alcooliques. Partout ça trafique, ça abuse et ça n’aime pas trop les indiens, alors que le narrateur en est un. C’est aussi un homme en recherche de femmes.

Les émotions ne cessent d’évoluer dans ce beau roman. La grand-mère centenaire est l’âme de la réserve, elle raconte le passé, elle est en quelque sorte l’historienne. Le narrateur, dont jamais le nom ne nous sera dévoilé, est un homme moderne, autochtone qui a perdu ses repères, ses racines, devenu ivrogne comme son père (un vagabond qui fricotait avec les Blancs), se moulant dans un monde qui lui est imposé, un monde matérialiste loin de ses croyances, du mode de vie de ses ancêtres. Les séquences dans les villes, les bistrots, les lieux de débauche dégainent cet humour si particulier que l’on retrouve chez d’autres écrivains dits de l’école du Montana, Jim Harrison (avec lequel Welch avait écrit le splendide petit livre « Terres d’Amérique ») et James Crumley en tête. Les chapitres dans la réserve sont plus lents, plus « sur la corde sensible », ils sont sensitifs et rappellent les propres origines de l’auteur. Quant au cheval Bird, vieux canasson qui tient à peine sur ses pattes, il est le témoin de ces décennies au sein de la réserve.


« L’hiver dans le sang » est une descente aux enfers d’un homme heurté. Mais James Welch ne cherche pas à faire pleurnicher, en sacré conteur il use de l’humour, dépeignant des situations burlesques, grotesques. Si dans le fond le roman est dramatique et bouleversant, l’auteur ne veut pas le rendre austère et applique un décor, des personnages décalés, paumés, mais qui ne rendent pas mal à l’aise. Ce roman est un parcours familial sur plusieurs générations, émané de lourds secrets de famille.

Roman de l’hostilité entre Blancs et Autochtones, de méfiance envers son voisin voire son ombre, roman du doute et de la fatalité : « Je me sentais de nouveau impuissant dans ce monde d’hommes blancs à l’affût. Mais ces indiens de chez Gable ne valaient guère mieux. J’étais un étranger pour les uns comme pour les autres, et les uns et les autres me cassaient parfois la figure ». Un narrateur anonyme en quête d’un avenir et de sa soi-disant petite amie envolée, malheureux dans un monde trop bruyant aux tentations trop nombreuses, une famille qui a souffert, et bien sûr cette plume de Welch qui rend le tout cohérent et simplement beau. Les dernières pages sont admirables, elles concluent l’aventure de manière forte et puissante. « L’hiver dans le sang » a été traduit en France pour la première fois en 1992, soit près de 20 ans après sa parution aux Etats-Unis. Il vient d’être réédité en poche avec une préface de Louise Erdrich, vous n’aurez donc plus d’excuse. Traduction Michel Lederer.

(Warren Bismuth)



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