dimanche 15 septembre 2024

Jean MECKERT « L’homme au marteau »

 


Cette lecture est présentée dans le cadre du challenge 2024 du blog Book’ing intitulé « Lire sur le monde ouvrier & les mondes du travail » :

https://bookin-ingannmic.blogspot.com/2024/01/2024-lire-sur-le-monde-ouvrier-les.html

« L’homme au marteau » de 1943 fait directement suite à l’écriture du premier roman de l’auteur, « Les coups », publié fin 1941, et ce n’est sans doute pas un hasard tant leur similitude est troublante. Troublant aussi le patronyme de ce personnage principal, Augustin Marcadet, le même que celui déjà rencontré dans le brûlot antimilitariste et pacifiste « La marche au canon », écrit une première fois en 1940 et refusé pour publication. Meckert semble ici prolonger ces deux oeuvres à la fois.

Augustin Marcadet est un fonctionnaire du Trésor au service contentieux de Paris, 30 ans, sans envergure. Marié à Emilienne et père d’une petite Monique, 5 ans. Marcadet s’ennuie, à son travail comme dans la vie. La routine est pour lui une douleur de chaque instant, son patron et ses collègues l’exaspère. « Augustin Marcadet faisait semblant, semblant de vivre ».

Ses rares moments de détente sont pour le Tour de France cycliste et la littérature française classique. Mais Marcadet est un médiocre, toujours indéterminé, n’attendant déjà plus rien de la vie. Son métier l’use, le rend sombre, sans envie, apathique, aigri. Il se sent déjà vieillir. La retraite ? Il ne la décrochera que dans 30 ans. « Pendant trente ans, tu crois que je vais faire le paillasson, hein ?... Trente ans ! Bon Dieu ! Te rends-tu compte ?... Trente ans de la vie d’un homme !... À ramper ! À se faire cracher dessus par ceux qui sont à l’échelon supérieur !... Non, non, non ! Je te dis ! ».

La monotonie s’installe : boulot, dimanches ponctués de visites à la belle-famille, conversations banales, plates, lisses. Pourtant c’est bien sa famille – sa femme et sa fille – qui le retient de tout plaquer. Et ce mot qui revient, comme un cri de désespoir : « Rien ». Pour souffler, Augustin en est réduit à s’enfermer régulièrement dans les toilettes. Soudain, il se révolte. Il insulte son patron, claque la porte. Mais il n’ose confier son geste à sa propre femme et se met à vivre dans le mensonge. Il lui cache sa nouvelle situation de chômeur ainsi que sa rencontre avec une jeune fille, Odette. Pourtant, Augustin aime se répéter qu’il n’est pas méchant.

« L’homme au marteau » est un pur Meckert : charge féroce contre le patronat, il met en scène un homme ordinaire, faible, usé par sa condition, cherchant sa place dans un monde qu’il rejette. Roman noir urbain, il dépeint un Paris terne aux personnages peu pétillants. Dans « Les coups », l’anti-héros décidait de frapper sa femme pour combattre ses propres frustrations. Dans « L’homme au marteau », ce sera le mensonge et le masque.

Si ces deux romans se complètent, s’alimentent et se heurtent en même temps, troublante voire frappante est également l’exacte similitude scénaristique avec « La fuite de monsieur Monde » de Georges Simenon rédigé en mars 1944, soit seulement quelques mois après la sortie de « L’homme au marteau », une histoire quasi identique où si Simenon dépeint un homme vagabondant, Meckert décide d’y ajouter une touche non négligeable d’engagement, de critique de la société. À noter une autre ressemblance, bien moins glorieuse : l’antisémitisme. S’il n’est que très brièvement évoqué chez Meckert et n’est prononcé que dans la tête de « son » Augustin (ce qui pourrait dédouaner Meckert), Simenon l’a, lui usé jusqu’à la corde. Je recommande d’ailleurs, une pince sur le nez pour éviter les effluves, « Nouvelles introuvables » de Simenon, écrites pour la plupart en pleine occupation allemande et publiées par le journal collaborationniste d’extrême droite Gringoire, elles mettent en scène des étrangers ou des juifs immondes, lâches. Dans ce recueil, Simenon semble vouloir plaire à tout prix à l’occupant et use de toutes ses facultés ignobles pour y parvenir. Ce n’est sans doute pas par hasard que ces nouvelles sont aujourd’hui difficiles à se procurer. Quant à « La fuite de monsieur Monde », il pourrait fort avoir été grossièrement chipé au scénario de « L’homme au marteau », Meckert étant connu depuis « Les coups ». Fin de la parenthèse.

Meckert est en quelque sorte un Simenon révolté, politisé, social. La différence notoire dans le fond réside non pas dans le climat, fort similaire, mais dans l’expression écrite, puisque Meckert a choisi le langage populaire, des rues, ce que se retiendra de faire Simenon durant toute sa carrière. Le récit de Meckert est porté par cette verve dynamique au sein d’un quotidien figé, c’est son arme principale. « L’homme au marteau » est un roman tout à fait dans son temps, avec cet homme effacé mais révolté en dedans.

 (Warren Bismuth)



1 commentaire:

  1. Je vois qu'il est le 3e titre dans l'ordre de "republication" choisi par les Editions Losfeld, il devrait donc être ma prochaine lecture de l'auteur. Le fait d'avoir lu Les coups et La fuite de Monsieur Monde me motive d'autant plus...

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