dimanche 3 août 2025

Daria SERENKO « Les filles et les institutions »

 


Un récit de vie plus qu’un roman, tel est ce livre bref de Daria Serenko. Une femme travaillant pour la culture publique en Russie Poutinienne raconte simplement son quotidien. Certes, depuis le stalinisme, les moeurs ont changé, les femmes sont devenues plus libres, en tout cas moins asservies, peut-être plus visibles, mais les hommes semblent s’être figés. Mais attention, les coups bas entre femmes ne manquent pas, les trahisons sont quasi routinières.

Car la tension est à son comble. L’Etat russe contrôle toute vie des fonctionnaires, jusque sur les profils de comptes Facebook et les photos publiées (un bout de corps est mal venu, tout propos déplacé est sanctionné). Puis il y a cette photo de Poutine distribuée aux institutions, photo couleur à photocopier et suspendre dans chaque pièce d’un bâtiment. Lors d’événements, le langage se doit d’être policé, lui aussi est surveillé et scruté. Tout est sous contrôle de l’Etat. « Ce matin par exemple, nous avons reçu par mail des instructions accompagnées de fichiers vidéos. Les instructions stipulaient que les fichiers vidéo devaient être téléchargés et utilisés comme écran de veille sur tous les moniteurs de notre établissement ».

La nostalgie de l’ère soviétique est parfois palpable, le vote obligatoire, pour Poutine bien sûr, avec photo du bulletin à l’appui, tandis que tout événement homosexuel est banni et que les syndicats sont corrompus. Pour les fonctionnaires, il est interdit de participer à toute manifestation sous peine de sanctions. Leur vie professionnelle est marquée par les fêtes nationales, à célébrer sur le lieu de travail : jour du drapeau national (tricolore depuis 1994), jour de la Russie, jour de la langue russe. Entre autres.

Et ces femmes fonctionnaires en ont assez, fatiguent. Le texte est rythmé par des chansons russes ou soviétiques, car il faut tout de même un peu de gaîté dans ce monde sans espoir. « Chères filles, nous avons tous besoin, semble-t-il, d’une grève mortelle. Vivre est devenu insupportable ».

« Les filles et les institutions » est paru en 2023 chez Sampizdat éditions. Traduit par Sylvia chassaing, il est préfacé par Laura Poggioli, il est une tranche de vie bureaucratique post-soviétique, c’est-à-dire un espace sans espérance ni autonomie, dans une attente de lendemains qui chantent.

https://www.sampizdat.org/

 (Warren Bismuth)

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