dimanche 14 septembre 2025

Raymond PENBLANC « Comme un mendiant sur les quais de marbre »

 


Ils sont huit à se succéder, comme à la barre lors d’un procès, pour parler de la même personne : un adolescent de 15 ans, que nous prénommerons Julian. Ils témoignent à plusieurs reprises, amplifiant toujours un peu plus leurs souvenirs et anecdotes à propos de ce jeune homme crasseux, victime de violences paternelles avant même la séparation de ses parents. Lui a suivi le père. Son parcours scolaire est évoqué, mais sa vie personnelle n’est pas oubliée. Pour celle-ci, l’automobiliste, l’épicière, la mère prennent la parole. Côté scolarité, c’est au tour de la camarade de classe puis de la conseillère d’éducation de s’exprimer, suivies du professeur. S’invite tout à coup le rival, appelons-le Philippe, celui qui convoite la même fille. Le gardien de parc prendra la parole plus tard, en seconde partie. Chaque narrateur tente de mieux cerner le caractère, la psychologie ainsi qu’un possible traumatisme du premier jeune homme.

En l’absence du principal intéressé, tous dressent un portrait de ce garçon mystérieux qui brusquement tombe en pâmoison devant Arthur Rimbaud, ses poèmes, sa vie alors qu’elle est enseignée par le professeur, possible double de l’auteur. Rimbaud vit en l’adolescent qui « a renoncé à être lui-même ». Il s’est en quelque sorte réincarné en Rimbaud. Quant au rival, c’est plutôt Charles Baudelaire dont il est admiratif. Mais n’oublions pas que le titre du roman est bien tiré de l’œuvre de Rimbaud, figure que Raymond Penblanc avait par ailleurs déjà convoqué dans une fiction précédente ("L'égyptienne" en 2016, toujours chez Lunatique).

Chaque témoin ouvre une porte secrète afin de mieux nous faire découvrir l’adolescent, chaque témoignage est complémentaire aux autres, le tout s’imbriquant finalement. Bien sûr la mère égrène les souvenirs sur son enfant avant la séparation du couple puisque le garçon lui fut retiré ensuite. Quant à l’épicière, elle s’exprime dans une langue plus populaire, plus brute, tout comme le gardien de parc qui intervient à une seule reprise, c’est lui qui a découvert le corps. Car cadavre il y a, c’est en tout cas ce que nous croyons. Et le coupable est… l’adolescent !

Pour son nouveau roman à l’écriture classique saupoudrée d’humour, Raymond Penblanc interroge des témoins un à un, et ne nous dévoile l’irréparable que bien après la moitié du récit, le parc, le couteau dans le ventre. En plus de Rimbaud et Baudelaire, il invite à sa table Tristan et Iseut. Ses témoins finissent par divulguer quelques traits de leur propre vie passée. Quant au professeur, il se place non en juge mais en sage, en procureur.

Au-delà du coup de couteau fatal, « Comme un mendiant sur les quais de marbre » est une interrogation sur le rôle de la culture dans notre société, plus précisément de l’art dans l’Education Nationale. Il évoque aussi la volonté d’assimilation face à des artistes idolâtrés. Est-il possible de rester soi-même quand on admire jusqu'à l'obsession ? Comme dans une partie de l'œuvre de Raymond Penblanc, l’art prend une place majeure dans le texte. Ici c’est bien sûr Rimbaud qui remporte les suffrages même si, concernant le jeune fanatique enfui, le professeur déclare « Je l’obligerais à ouvrir les yeux, tant il persiste dans le déni, je lui dirais, affronte, assume, et tue sans hésitations ni remords tes vieux démons et tes idoles ».

« Comme un mendiant sur les quais de marbre » vient de paraître aux éditions Lunatique dont le catalogue continue de s’étoffer, une maison de toute évidence à soutenir.

https://www.editions-lunatique.com/

(Warren Bismuth)

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