dimanche 7 septembre 2025

Roger ASSAF « Le jardin de Sanayeh »

 


« L’acteur, c’est lui le lieu de l’action, voyons ! C’est lui l’espace scénique ».Dans un théâtre de Beyrouth lors d’une répétition d’une pièce de théâtre, les comédiens improvisent et débattent, se disputent parfois. Au cœur de la pièce, un double homicide ayant au lieu en 1980 à beyrouth. Si les deux cadavres coupés en morceaux ont été disséminés dans le jardin de Saranyeh, seul l’un d’eux fait parler les comédiens, celui de la propriétaire d’un certain Khalil T., meurtrier présumé qui fût d’ailleurs pendu en 1983.

Mais la pièce, bien que relatant les événements par le fait divers puis le procès, est principalement axée sur le jeu des comédiens. Des comédiens qui improvisent, se démarquent du texte pour faire entendre leur voix, exister au sein d’une fiction, par eux-mêmes, pour eux-mêmes. Ainsi, un brouhaha se répercute. Sami joue Khalil T., mais peu à peu il s’en fait l’ardent défenseur, il devient en quelque sorte Khalil T. Avec cette question : Restons-nous nous-mêmes lorsque l’on joue un rôle ? Est-il facile, est-il possible même de rester à distance respectueuse de la personne que l’on joue, fut-ce un assassin présumé, de surcroît exécuté ?

Bribes de procès, dépositions des témoins. Jusqu’à la condamnation de Khalil pendant que le Liban sombre dans le chaos. Khalil est libéré de prison en 1982 par des miliciens insurgés (c’est l’époque du massacre de Sabra et Chatila). Mais bien vite il réclame son retour derrière les barreaux afin d’être jugé à nouveau.

C’est alors que des personnages de Shakespeare s’invite dans les dialogues et que la pièce prend une tournure historico-politique. « Je joue à moi seul bien des personnages, dont aucun n’est content. Par moments, je suis roi ; alors les trahisons me font souhaiter d’être mendiant, puis me revoilà mendiant, et l’écrasante misère me persuade que j’étais mieux, étant roi – et me voilà redevenu roi… ».

Dans un climat de discussions tendues et de profonds désaccords, Roger Assaf, qui a lui-même traduit sa pièce à partir de son texte de l’arabe libanais de 1997, nous demande, à nous spectateurs, notre avis. Tout comme les comédiens jouant leurs personnages finissent par donner leur avis propre plutôt que celui du texte imposé par le metteur en scène. C’est en quelque sorte un théâtre libre, actif, participatif, avec en toile de fond le Liban des années 1980, pays déchiré et meurtri, désespéré.

Pour Assaf comme pour ses comédiens, ceci n’est pas du théâtre. D’ailleurs le rideau ne tombera pas en fin de représentation puisqu’il n’y a pas de rideau. Tout comme il n’y a pas de pièce, mais plutôt des questionnements d’êtres humains qui se réunissent pour échanger. La pièce jouée semble devenir tout à coup un prétexte. Les personnages créés sont bien vite oubliés, remisés dans les loges, pour ne faire que subsister les comédiens redevenus de simples citoyens.

« Le jardin de Sanayeh », préfacé par Elias Sanbar, vient de sortir aux éditions L’espace d’un Instant, ce n’est pas le premier texte de l’auteur paru ici, de plus il a déjà traduit au moins un ouvrage de l’éditeur.

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(Warren Bismuth)

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