Cette BD de 2025 est l’adaptation du livre documentaire « Libres d’obéir : le management du nazisme à aujourd’hui » de Joahnn Chapoutot, paru en 2020.
Reinhard Höhn (1904-2000) fut un bon nazi, toujours prêt à briller par son statut de chercheur pour le triomphe de la cause, statut de chercheur qu’il conservera toute sa vie. Proches des idées du Führer, il pense comme lui que le pouvoir n’est pas l’Etat et que l’Etat doit disparaître dans sa globalité, car « puisque l’Etat redistribue les richesses, il assure la survie des faibles ». Or dans le IIIe Reich, on n’aime pas particulièrement les faibles. Le but est diriger plutôt que gouverner.
Ainsi Höhn propose une approche managériale autoritaire avec prescription de méthamphétamines pour améliorer le rendement des ouvriers. Un seul syndicat est autorisé : le Deutsche Arberitsfront. La plume de Johann Chapoutot, épaulée magistralement par le somptueux travail graphique de Philippe Girard, raconte pour ainsi dire trois histoires : celle du nazisme par le prisme du traitement du prolétariat, le destin de Reinhard Höhn en une biographie traçant les grandes lignes de son métier de chercheur, la troisième histoire, enchâssée, étant celle de victimes du management autoritaire contemporain se documentant sur l’origine de ce patronat sévère et destructeur.
Le système nazi se finance en partie par la spoliation des biens juifs réinjectés pour réduire les impôts et augmenter les prestations sociales. Ironie de l’histoire : en 1945, au départ de nombreuses troupes de soldats allemands sur le front, il faut les remplacer pour continuer à faire fonctionner le pays. 15 millions d’étrangers sont recrutés.
Après la guerre, Höhn n’est pas inquiété pour son passé nazi, il crée en 1956 une école de management basée sur l’expérience étasunienne, un management dur, où l’humain est remplacé par la rentabilité. Le salarié devient flexibilité, adaptabilité, performance. Au revoir la vie privée, bonjour l’aliénation ancêtre de ce que l’on appellera plus tard le burn-out. Les entreprises sont dirigées comme des armées même si l’adversaire est invisible, seul le profit compte.
C’est toute cette évolution du management jusqu’au monde actuel que Chapoutot raconte dans cette bande dessinée, formant un miroir avec les employées discutant de nos jours, détruites par leurs conditions de travail, dont l’ancêtre pas si lointain émane du nazisme.
Le travail de Philippe Girard est tous points remarquable : coloré, dynamique, il joue avec les polices de caractère, le type « affiche » pour des slogans présentés comme des publicités. La couleur rouge est très présente et gifle quasiment à chaque page. Car le discours de fond suinte le sang, la maltraitance, la négation des valeurs humaines. Ce n’est pas uniquement le message de Chapoutot qui se lit avec intérêt, mais sa représentation par Philippe Girard qui fait de cette BD un écrin. Car Girard agrémente des slogans de management dans leur langage original : l’allemand. Il sert aussi à rendre la pilule moins amère, l’esthétisme est ici aussi important que le texte.
Derrière la biographie de Reinhard Höhn, derrière une histoire du management nazi, derrière son héritage dans les entreprises de nos jours, c’est une BD qui forme un tout grâce à deux hommes très talentueux qui unissent leur force pour proposer un livre d’une grande valeur artistique comme historique et sociologique. Pour les détails concernant le management toxique, ruez-vous sur ce documentaire, il vaut le coup !
(Warren Bismuth)




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