mercredi 12 novembre 2025

Revue Critique « Frontières du noir »

 


Pour son numéro de l’été 2025, la revue d’analyse littéraire des éditions de Minuit, oscillant entre mensuel et bimestriel, propose à sa façon de célébrer les 80 ans de la Série Noire de chez Gallimard (dont les éditions de Minuit font partie depuis 2023). Le numéro 937-938 balaie l’univers du noir, pas seulement littéraire par ailleurs, et il est toujours très pointu dans ses propos.

Entrée en matière pour le moins originale et surnaturelle avec un texte de Geoffrey O’Brien s’attardant sur le roman « The search of Briday Murphy » de Morey Bernstein de 1956, où il est question d’hypnose, la pensée s’ouvrant sur le cinéma. Marc Cerisuelo analyse quatre films de François Truffaut : « La mariée était en noir », « Baisers volés », « La sirène du Mississipi » (avec un seul P, l’auteur insiste à juste titre) et « Domicile conjugal », approche sur la technique comme sur le rapport à d’autres cinéastes.

Caroline Reitz revient sur le roman « Eileen » de Ottessa Moshfegh (2015) ou une femme prend la parole 50 ans après sa jeunesse. Est mis en parallèle le roman « Ma sœur, serial killeuse » de Oyinkan Braithwaite (2019, Nigeria), deux roman qui abordent entre autres la sororité et le féminisme, et ne sont pas sans rappeler le film « Thelma et Louise » de Ridley Scott (1991).

C’est la série BD « 100 bullets » du scénariste Brian Azzarello et du dessinateur Eduardo Risso qui est à l’honneur dans le texte de Denis Mellier avant que Thibaut Bruttin se penche sur l’œuvre de Jean-Patrick Manchette et Jean Vautrin et leur rapport au cinéma, notamment aux deux monstres sacrés Jean-Paul Belmondo et Alain Delon. Dans un style fort similaire du reste de son œuvre, Pierre Bayard discourt sur la paranoïa dans le cinéma dans un entretien donné à Marc Cerisuelo et Benoît Tadié, par ailleurs traducteur d’une partie des textes en anglais de la présente revue.

Comme dans son indispensable livre « Le roman noir, une histoire française », Natacha Levet trace un historique passionnant du roman noir à la sauce francophone et, contrairement à son livre, elle n’omet pas de mentionner les auteurs « noirs » de Minuit que sont entre autres Jean Echenoz, Christian Gailly, Tanguy Viel et autre Yves Ravey. Boris Dralyuk propose une approche originale du noir avec trois poètes étatsuniens : Kenneth Fearing, Alfred Hayes et Weldon Kees, une poésie du noir dont de larges extraits accompagnent le propos.

Pierre Berthomieu nous entretient de l’œuvre cinématographique de Michael Curtiz et plus précisément de son adaptation en 1945 du roman « Mildred Pierce » de James M. Cain (1941).

Caroline Julliot dresse les contours du Nestor Burma de Léo Malet et revient sur la carrière de ce pionnier du roman noir. Dans un texte sur l’opposition entre police et détective, Thierry Hoquet place trois films en parallèle : « Meurtres mystérieux à Manhattan » de Woody Allen, « Assurance sur la mort » de Billy Wilder et la série « Only murders in the buildings » de Steve Martin et John Hoffman. En silhouette apparaît le crime d’une proche de la famille de l’auteur de l’article, ensuite hanté par la lecture de polars classiques.

La directrice de la Série Noire Stéfanie Delestré répond pertinemment aux questions de Marc Cerisuelo et Benoît Tadié sur l’itinéraire de la célèbre collection de chez Gallimard. Et comme toujours avec l’interviewée, on en apprend beaucoup !

Gérald Peloux s’intéresse quant à lui à certains titres de romans noirs japonais déviants dans la littérature de l’entre-deux guerre, tandis que Jean-Pierre Naugrette met la lumière sur la place prépondérante de la couleur noire et l’errance dans l’œuvre de Charles Dickens, la pensée s’amplifiant bien vite vers les évocations de la ville de Londres dans la littérature classique.

Vincent Platini ressuscite l’œuvre en partie oubliée de Francis Carco, insistant sur la bohème de l’écrivain, sa fréquentation des bas-fonds qu’il retranscrit à la perfection dans ses romans agrémentés de langage populaire, d’argot parisien typique, les figures des prostituées gouailleuses. Platini revient aussi sur les rapports entretenus entre Carco et le monde la peinture.

Le dernier article signé Andrew Pepper fait la part belle à l’après Jean-Patrick Manchette, au polar de l’après mai 68, c’est-à-dire au roman noir, au polar sociétal en direct en temps de crise surtout aux Etats-Unis, avec un constat sans solution. L’article s’étend toutefois vers le polar féministe d’Amérique latine, de quoi inspirer des lectures.

« Frontière du noir » est un recueil de textes traitant le « Noir » de manière ample et variée, touchant à la fois littérature et cinéma pour rendre le tout plus pertinent, moins réducteur. Si quelques interventions peuvent paraître ardues, d’autres s’adressent à toute la population, ce qui est la moindre des choses lorsqu’on parle de roman noir. Recueil dans lequel il se pourrait fort que vous annotiez quelques petites références à exploiter ultérieurement. Et puis les éditions de Minuit restent une valeur sûre (même si c’est esthétiquement curieux de voir soudain apparaître une couv’ noire dans ma bibliothèque personnelle des livres de chez Minuit)…

Ainsi se termine mon cycle consacré aux 80 ans de la Série Noire, à moins que... J’espère que vous y aurez trouvé des lectures intéressantes. J’ai tenté de varier les articles, les époques, les auteurs, j’espère ne pas avoir trop échoué. Bien sûr, je reviendrai ultérieurement sur des titres de la Série Noire, mais de manière moins solennelle, plus ponctuellement.

http://www.leseditionsdeminuit.fr/

(Warren Bismuth)

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