samedi 27 janvier 2018

Jean ÉCHENOZ « Des éclairs »


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Mais qu'est-ce qui m'a pris d'entreprendre la lecture de la biographie d'un bonhomme dont je n'ai jamais entendu parler, de surcroît un scientifique, connaissance divinement absconse et extra-terrestre pour moi ? Toujours est-il que j'ai sauté le pas, sans vraiment rien attendre du récit. Comme par désœuvrement. Et c'est souvent précisément dans de telles situations que tout se crée, que les rencontres ont lieu, que la magie opère. Le « biographé » se prénomme Gregor dans le bouquin, et ne possède pas de nom de famille. En fait, dans la vraie vie, il s'agit de Nikola TESLA (1856-1943), scientifique azimuté obsédé par les multiples de 3, par ailleurs torturé par des troubles obsessionnels compulsifs, et né en ancienne Autriche (aujourd'hui Croatie). Ce type a tout du génie en matière de découvertes électriques ou téléphoniques (entre autres). Il invente, toujours, sans interruption, et dès qu'il est sûr d'avoir créé, il passe à autre chose, ce qui l'intéresse est la création, pas la gloriole ni même le fait de profiter de ses découvertes. Il aime les projets, pas le fait de les développer. Tiens, au hasard, c'est lui qui découvre le courant alternatif alors que Thomas EDISON s'était arrêté au courant continu qui somme toute posait problème, n’allant pas assez loin. L’ennui majeur est qu'il ne va pas aller jusqu'à breveter ses découvertes. Certaines vont donc être volées, pillées (puis brevetées bien entendu, la dure loi du marché), d'autres rachetées pour une somme modique, parfois 50 ans après leur embryon de création par TESLA. L'homme n'a pas une vie reposante, il est même régulièrement épinglé par sa « famille » : Thomas EDISON, avec qui il a pourtant commencé à travailler une fois venu s'installer aux U.S.A., lui jalouse ses inventions, et torture des animaux en public, leur infligeant des chocs électriques, en les tuant de la sorte, pour prouver la dangerosité des trouvailles du père Nikola envers les êtres vivants et qu'il faut de fait boycotter le sieur TESLA. Ce même EDISON va pourtant s'accaparer par la suite nombre de recherches du même TESLA pour devenir riche et célèbre. EDISON doit énormément à TESLA, le créateur de l'ombre. Il a pourtant tout tenter pour le faire choir, avec d'ailleurs un certain succès. Le laboratoire de TESLA prend feu sans l'on connaisse véritablement la cause, nombreuses de ses formules sont perdues. MARCONI va inventer la radio… sur les idées de TESLA, et après avoir eu vent d'un brevet inachevé (un traître se cache parmi nous…). TESLA va en outre être l'auteur d'une sorte de tour de Babel inachevée. En plus de ce que l'on vient de voir, il va inventer le radar, le missile, lui pourtant peu belliqueux. Certes, il est acariâtre, décalé, antipathique, susceptible, un brin misanthrope, éternel insatisfait, peu enclin à apprécier l'humanité, à part une certaine Éthel, muse tombée du ciel, qui n'est pourtant pas sa femme. Derrière les traits de caractère peu reluisants du gus, ÉCHENOZ semble néanmoins éprouver une réelle tendresse pour lui. Peut-être parce que plus TESLA avance dans la vie plus il devient bizarre : il ne se nourrit plus que de pigeons avant de se découvrir une nouvelle vocation, celle de les soigner puis de les sustenter. Il est fréquemment entouré de ces volatiles chieurs et transporteurs de saloperies en tout genre. Éthel ne peut que constater « les progrès de son déclin ». Troisième volet biographique (quoique totalement indépendant des deux autres) après deux biographies respectivement consacrées à Maurice RAVEL et au sportif Emil ZATOPEK, ce récit est alerte et se lit comme un roman énergique avec réjouissance malgré les - ou grâce aux - déboires du « héros ». ÉCHENOZ semble s'amuser et fait partager son enthousiasme à son lectorat qui le remercie entre deux gondolades, car ÉCHENOZ use de sa causticité, pour ne pas dire de son cynisme bienveillant, pour rendre une forme spéciale à son contenu, sans oublier les éternels petits instants jubilatoires qui font d'ÉCHENOZ un auteur à part. Décalé. Un peu comme un certain TESLA, le sourire en plus. Ouvrage sorti en 2010 aux ÉDITIONS DE MINUIT.

(Warren Bismuth)

2 commentaires:

  1. Rebonjour, j'ai adoré ce roman et je suis fan de l'écriture d'Echenoz, quel talent. Courir et Ravel étaient aussi très bien. Bonne journée.

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    1. Des Livres Rances7 janvier 2024 à 08:55

      Oh oui cette trilogie biographique est redoutable !

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