Cette BD italienne plutôt épaisse est à la fois un carnet de
voyage, un récit de guerre, un travail géopolitique, un recueil de témoignages
et une fable humoristique. L’auteur, ici scénariste et dessinateur, ZEROCALCARE,
qui a par ailleurs fait ses classes dans la scène punk et alternative italienne
au tout début de la décennie 1990 (ce « Kobane Calling » est un
hommage au « London calling » de THE CLASH), est allé au cœur de la
guerre au Moyen-Orient, pour voir concrètement ce qui s’y passe exactement. Son
but : rejoindre cet espace de liberté au Kurdistan autour de la ville de
Kobané. Sur la carte, une fine langue syrienne située à la fois sur les
frontières turque et irakienne, c’est-à-dire là même où Daech possède des bases
et une puissance influente. Je vous fais l’impasse sur les nombreuses
péripéties, les anecdotes racontées au fil de ce récit, des histoires diverses,
drôles ou émouvantes, décalées ou révoltantes. ZEROCALCARE, au-delà de son
voyage, tient à nous informer, nous faire réagir à la situation sur place. Les
kurdes de Kobané ont fait fuir les armées de Daech sans aucun appui, ils sont
même plutôt mal vus en Syrie, en Turquie et en Irak. EL ASSAD ne les aime pas,
ERDOGAN non plus, les religieux pas plus. C’est donc isolés que les kurdes
(aidés cependant par le P.K.K.), notamment les Y.P.G., pourchassent l’État
Islamique. La BD décrit cette lutte jusqu’en 2015, c’est-à-dire figeant le
combat à cette date. Attention, beaucoup de choses se sont passées depuis et il
nous faudra nous informer ailleurs pour connaître la suite. Je ne souhaite pas
entrer dans les détails sur la forme de la BD car elle est en tous points
surprenante : du noir et blanc aux dessins à la fois précis et faussement
naïfs, des visages semblant tout droit échappés de mangas, une mise en page
pouvant paraître chaotique (sans doute l’influence du punk…), et surtout des
dialogues originaux ! Dialogues entre jeunes, avec la langue qui va avec,
celle de la rue, mais aussi celle des jeunes « branchés », le tout
mixé avec des mots ou expressions typiquement romains (l’auteur est un romain
pur jus). L’humour vient égayer les moments tragiques, l’odeur de cadavres,
ZEROCALCARE sait manier le burlesque, le loufoque, rendant le récit moins
étouffant. Mais il laisse aussi parler les témoins du quotidien :
biographies expresses de combattant.e.s, interviews minutes. C’est donc une BD
qui parle avec une fausse légèreté de l’un des plus importants conflits de ces
dernières décennies, comme pour désacraliser la guerre, dédramatiser l’horreur.
En près de 300 pages, l’auteur nous fait comprendre cette lutte, n’oublie pas
que les femmes kurdes jouent un rôle prépondérant contre Daech, il sait les mettre
en avant (elles représentent 40 % des Y.P.G.). À lire la déclaration des
régions autonomes du Rojava, on croirait avoir à faire à un tract libertaire,
anarcho-collectiviste. Les choses sont en train de bouger très vite par là-bas,
c’est à la fois encourageant, excitant et inquiétant lorsqu’on voit l’isolement
des troupes kurdes. En tout cas, cette BD a été traduite en France 2016 aux
Éditions CAMBOURAKIS, et je vous conseille d’aller faire un tour dans ses
pages, en plus d’y rire vous y apprendrez des tas de choses qui vous serviront
lorsque vous assisterez par médias interposés aux suites de cette guerre sans
fin.
(Warren Bismuth)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire