J’ai bien peur que cela me soit très difficile
de présenter l'écossais Dominic COOPER de la même manière qu’un autre auteur,
car il tient à mes yeux une place particulière, prépondérante. Ce type a écrit
en 1975 « Le coeur de l'hiver », un pur chef d’œuvre du « nature
writing ». Attention, pas la nature qu'on contemple avec des jumelles de
compétition, non, celle qui fait mal, qui écorche, qui est au-dessus de
l'humain, qui le dirige, indomptable, d'une puissance infinie, indestructible.
Celle qui tue dans toute sa flamboyance. Ce « coeur de l'hiver » est
peut-être le roman le plus fort que j'ai lu dans le style, un monument, un
texte magistral, une histoire pourtant minimaliste. Mais savez-vous quoi ?
C'était là son premier roman. Un début en fanfare, souffle coupé par tant
d'amour et de respect de la nature. On n'était pas loin de crier au génie.
1977, rebelote avec un deuxième roman,
présenté ici, « Vers l'aube ». J'y reviens dans quelques instants,
encore un livre majeur, exceptionnel, une récidive inespérée. 1978,
« Nuage de cendres », troisième roman avec en toile de fond
l'éruption gigantesque du volcan Laki en Islande en 1783, je ne l'ai pas
terminé, sentiment d'une imagination qui se tarit, se dégrade, cependant pas d'autodafé,
c'était forcément moi qui n'étais pas en condition, je le reprendrai un jour.
Bientôt. Promis.
Trois romans en quatre ans c'est beaucoup,
monsieur est prolifique. COOPER a alors 34 ans et un boulevard devant lui en
guise de carrière. Mais aussi incroyable que cela puisse paraître, c'est là
précisément qu’est signée sa fin de carrière, il ne va plus écrire, lui qui a
sorti deux œuvres merveilleuses et indispensables d'une force époustouflante,
incommensurable. Fin d'un génial écrivain. Dominic COOPER est toujours de ce
monde et n'a plus écrit depuis 40 ans. Les informations le concernant sont
rares, presque nulles.
Son
parcours a un goût unique, à la fois émouvant et une impression de gâchis
tellement le potentiel était immense. Mais quand tout a été écrit dans deux
romans, pourquoi souhaiter absolument faire une longue carrière (souvenons-nous
d’Emily BRONTË ou de M. AGUEEV, un roman et puis s'en vont) ? Je me suis égaré, j'en conviens. Retour à
« Vers l'aube ». Si vous avez bien suivi, vous savez d'ores et déjà
que j'aime particulièrement ce livre que je lisais pour la deuxième fois (ce
qui est très rare chez moi), et deuxième énorme gifle. En voici la trame.
Un 4 août survient le mariage de Flora,
fille de Murdo Munro, 59 ans. C’est aussi un 4 août qu’il s’est marié avec
Margaret pour des épousailles classiques accouchant d’un couple routinier, qui
s’ennuie. Murdo est garde forestier, sentiment d’être passé à côté de sa propre
vie. Détachement obligé pour sa fille Flora, surprotégée par une mère
possessive.
En pleine cérémonie de mariage, Murdo
étouffe et se barre. D’un coup de tête, comme ça, sans regarder derrière. Il
décide de déserter après avoir mis le feu à sa propre maison d’Acheninver
quelque part en Ecosse profonde. Il veut fuir son île, mais il y est connu, donc
il part se cacher dans la forêt. Il pense fuir par la mer, celle même où son
père est mort à la suite d’un naufrage. Sa mère a levé aussi les bottines, crise
cardiaque. Il avait bien récupéré la maison familiale mais l’autoritaire
Margaret l’avait rapidement convaincu de vendre.
Dans sa fuite, il rend visite à sa sœur
Bessie, mais la relation entre Murdo et Alec, mari de Bessie, est épouvantable.
Pour pimenter le tout, un accident stupide dont Murdo est coupable blesse
Dougie, l’enfant de Bessie et Alec. Murdo est définitivement rejeté, d’autant
que le couple a appris qu’il est recherché par la police. Dougie appréciait
beaucoup Murdo, ce qui rendait Alec encore plus furieux. Cet accident tombe
plutôt bien pour s’en débarrasser. Murdo va alors errer dans les montagnes afin
de se planquer, se sentant traquer, c’est là qu’il rencontre Hector…
C’est le roman de la fuite en avant,
inexorable, avec ces moments proches du scénario catastrophe puis des instants
de grâce, pure, vraie. C’est à coup sûr un livre profondément contemplatif, une
nature d’une rare puissance, dévastatrice, ordonnant à l’Homme de la respecter,
de la suivre et se plier à ses exigences. Nous tenons là des moments
exceptionnels, privilégiés. Le scénario est minimaliste, expurgé, pour mieux
mettre en scène dame nature. Les passages lui étant réservés sont tout
simplement prodigieux, plusieurs dizaines de pages à couper le souffle au
propre comme au figuré. Ce roman est d’une noirceur totale, sans espoir de
gaîté subite. Les descriptions et le lieu (l’Ecosse rurale), ainsi que les
traditions (la tourbe !) rappellent celles de Peter MAY, peut-être un poil
plus intimistes si cela est toutefois possible. Murdo n’est que le faire-valoir
du personnage central, la nature. Un moment rare de lecture. Quant à la fin, je
vous laisse la découvrir, elle est parfaite.
La destinée de cet écrivain me touche
beaucoup, ce sont de telles rencontres littéraires qui nous confortent dans
l'idée (l’envie devrais-je dire) de creuser, de chercher le petit écrivain
oublié au milieu des autres, des géants, de réhabiliter en quelque sorte un auteur
passé inaperçu, lui permettre une nouvelle vie. J'insiste sur le caractère
exceptionnel des deux premiers romans de COOPER. Peut-être que personne, ni
avant ni après, n'a autant louangé, magnifié la nature sauvage et inflexible avec
une écriture qui transpire l'amour vrai pour la Terre. Cette écriture poétique,
sensible, violente parfois, proche de la perfection car chaque mot compte et
possède un poids, une âme.
Chez COOPER, les humains ne sont que des
prétextes, c'est la nature la seule « héroïne » du roman, tout le
reste n’est qu’un détail. Et pourtant même les personnages sont solides et
charpentés, comme inusables et inoxydables eux aussi. Ce sont les Editions
Métailié qui ont eu l’idée lumineuse d'éditer l’intégrale de COOPER pour la
première fois en français, de 2006 à 2012, un livre tous les trois ans, 30 ans
après les publications originales (« Vers l'aube » a été réédité en
2009). Que Métailié soit ici vénéré jusqu'à la nuit des temps.
Beaucoup d'auteurs ont eu un immense
succès, à tort ou à raison, ont franchi les siècles, les guerres et les
tourmentes. Mais s'il n'en restait qu'un après tout à sauver, pourquoi ne
serait-ce pas COOPER plutôt qu’un autre, COOPER cet invisible génie ?
Pourtant, il ne restera sans doute pas dans les mémoires, ce qui ne nous
empêche nullement de faire partager ces joyaux d’un autre temps, pas si éloigné
que cela, les générations futures devront se souvenir que Dominic COOPER fut
rare et précieux, elles devront respecter la nature, la contempler, comme lui
l’a fait. Immense auteur qui n’aura publié que 600 pages en 4 ans et trois
romans et qui, je le crains, ne sera plus jamais réédité, devra retourner dans
les méandres de l’inconnu, dans lesquels tant d’auteurs naviguent dans
l’opacité. La bonne nouvelle est que ces trois titres sont encore disponibles,
parlez-en à votre libraire, utilisez la force, menacez-le s’il le faut pour
qu’il vous commande ces bijoux. Vous aurez ainsi sauver du néant des chefs
d’œuvre littéraires, des lignes qui n’ont pas de prix.
https://editions-metailie.com/
(Warren Bismuth)
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