mercredi 27 juin 2018

Thomas GIRAUD « La ballade silencieuse de Jackson C. Frank »


Attention : ceci n’est pas une fiction ! Enfin pas tout à fait. Si Thomas GIRAUD réinvente la vie du musicien de folk Jackson C. FRANK, il imagine son parcours à partir de faits réels, d’anecdotes qui servent de fil rouge à ce roman qui tient plus en fin de compte de la biographie sélective.

Le petit Jackson n’a que 11 ans en 1954 lorsqu’explose la chaudière de son école. Plusieurs enfants sont tués par l’incendie gigantesque, Jackson en gardera d’irréversibles séquelles psychologiques et physiques : front et poitrine brûlés, greffe à partir de la peau de l’une de ses cuisses. En somme, corps altéré de haut en bas. 8 mois d’hôpital, il en ressort changé, y compris aux yeux de ses parents.

Il se passionne pour la musique, pour Elvis. Sa mère l’amène visiter Graceland la propriété du King. Contre toute attente PRESLEY est chez lui, et entame même avec Jackson une conversation. Ce dernier commence à grattouiller sur une vieille guitare, s’en sort plutôt pas trop mal, alors il insiste : il sera musicien, meilleur que son maître Elvis, c’est en tout cas ce qu’il ambitionne. Sur son chemin il rencontre SIMON & GARFUNKEL, pas encore les monuments qu’ils deviendront bientôt mais déjà fort reconnus dans le milieu. C’est grâce à eux qu’il va enregistrer à Londres son premier album (c’est sur le bateau qui le mène en Angleterre qu’il en compose certains morceaux).

Jackson est un grand timide : en studio il refuse d’être observé par le célèbre duo alors qu’il joue ses chansons, il faudra y dresser un paravent afin qu’il puisse en toute sécurité enregistrer ses titres. Après quelques péripéties, le disque finit par sortir. Juste après un album de DYLAN qui fait de l’ombre à tout le monde. Succès d’estime pour Jackson, pas la ruée qu’il avait escompté. Il est pourtant persuadé que son disque est très bon, fameux même. Mais le public le renvoie à ses gammes, sans même une révérence.

Et puis plus rien : perte de l’imagination, pannes multiples dans les compositions, impossibilité de faire de nouvelles chansons. Et pendant ce temps-là, DYLAN, SIMON & GARFUNKEL montent en puissance et notoriété. Le néant habite un Jackson au bord du désespoir. Oh il va bien tenter de rejouer ses titres, de les rendre plus attrayants, car si le public le boude c’est qu’il manque forcément quelque chose. Paradoxe ultime ou pied de nez du Destin : les reprises qu’en font d’autres interprètes sont plutôt bien reçues par la critique. C’est désormais l’errance pour Jackson, jamais il n’enregistrera de nouvelles chansons.

Voilà pour la partie biographique de Jackson C. FRANK. Dans ce roman de 2018, Thomas GIRAUD imagine les errements du musicien qui touche le fond, il le fait souffrir au quotidien. Mieux : il se fond, se love dans Jackson, prenant parfois sa place pour mieux endurer avec lui, sentir la détresse, tenter de le guider.

Le destin de Jackson C. FRANK est celui de beaucoup de musiciens, là j’évoque la carrière musicale, un coup de génie en pleine jeunesse mais un public qui boude, et une descente aux enfers sans freins ni lumière. Dans cette biographie romancée et en partie inventée, créée, chacun de nous pourra penser à un musicien de ses proches, ou un artiste qu’il révère pour cet unique disque sorti un jour et qu’il aura écouté jusqu’à ce que les sillons ressemblent à des tranchées. Souvent, la destinée de ces compositeurs vagabonds aura été truffée d’emmerdes en tout genre, sans compter les divers abus qui auront parfois raison du créateur baigné dans une autodestruction sans retour.

Mais ici, tout commence par une chaudière défectueuse qui semble sceller le destin de l’un de ses nombreux artistes qui ont peut-être trop cru en eux, se sont surestimés sans jeter une oreille ni un œil sur la critique, et qui se sont perdus faute de modestie, de réalisme ou de recul. Quoi qu’il en soit, Jackson C. FRANK est reparti dans les ténèbres au pied de sa chaudière, comme lui quelque part défectueuse, et Thomas GIRAUD l’exhume de manière émouvante, on sent qu’il aime ce Jackson, qu’il a une tendresse particulière pour ce musicien incompris, peut-être le King des « losers ». Il aimerait tant le voir réhabilité, faire en sorte que son disque devienne enfin un classique. C’est sorti aux Editions de La Contre Allée que je ne vais pas tarder à demander en mariage pour une cérémonie littéraire.


(Warren Bismuth)

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