samedi 1 décembre 2018

Leonid ANDREIEV « Le gouverneur et autres nouvelles »


Nous vous avons déjà présenté l’immense ANDREIEV dans une précédente chronique, aussi venons-en directement à ce recueil de huit nouvelles, toutes écrites semble-t-il au tout début du XXe siècle. ANDREIEV (1971-1919) sait dépeindre de manière magistrale la Russie pauvre, celle qui souffre, la rurale surtout, peut-être un pont nécessaire entre DOSTOIEVSKI, TCHEKHOV et LESKOV.

De ces huit nouvelles, « Le gouverneur », la première, écrase les autres par sa force, sa puissance. Elle peut d’ailleurs être cataloguée comme roman (à ma connaissance, ANDREIEV n’a jamais écrit de « vrai » roman). Un gouverneur vient de donner l’ordre de tirer sur une manifestation de grévistes crève-la-faim. Bilan : 47 morts et de très nombreux blessés. Depuis il vit souvent cloîtré, près des siens, il sait qu’il va mourir assassiné, la question est juste de savoir à quel moment. Il est pris de cauchemars, de folie passagère, de paranoïa. Ce scénario est tiré d’une histoire vraie, le thème principal est la peine de mort : doit-on exécuter de sang froid un être, même s’il est coupable du meurtre de 47 personnes ? « On eût dit que l’antique loi du talion, elle-même, exigeant la mort pour châtier la mort, qui s’était endormie et semblait morte aux gens peu perspicaces, avait ouvert ses yeux froids, vu les hommes, les femmes, les enfants tués, et étendu sa main autoritaire et impitoyable sur la tête de l’assassin ». Une sorte d’attente insoutenable dans un couloir de la mort.

Dans les autres nouvelles, un chien abandonné, Koussaka, battu, montré en spectacle privé, rappelant un peu « Croc-Blanc » ou « L’appel de la forêt » de jack LONDON. Et cette dernière nouvelle « La vie est belle pour les ressuscités » où ANDREIEV nous fait parcourir un cimetière, y entend les morts. Ils sont vivants mais se taisent. Admirable écriture poétique, pleine de compassion mais mordante, ANDREIEV réussirait presque à nous faire aimer voire désirer la mort.

Comme souvent dans les recueils de nouvelles, certaines sont plus légères, plus futiles, mais le style est là, bien présent, très puissant. Totalement oublié puis ressuscité (lui aussi !) par les bons soins des Éditions Corti il y a quelques années (six volumes plein jusqu’à la gueule et constituant l’intégralité des écrits de l’auteur, le dernier étant une courte pièce de théâtre). Pour ne rien vous cacher, je ne les possède pas et me suis rabattu sur un ebook de « compilation » au prix défiant toute concurrence pour vous faire redécouvrir par le truchement de huit écrits cet écrivain génial mais sous-estimé, qui a la trempe des plus grands. Le présent recueil était également sorti en version papier en 1908, ce qui, vous en conviendrez, ne nous rajeunit guère. Peut-être qu’avec une certaine assiduité (et sans doute un portefeuille bien garni) vous aurez la chance de le dénicher.

Si la littérature russe vous passionne, tout d’abord je vous comprends et vous donne ma bénédiction, ensuite j’ajouterai qu’il faut avoir lu ANDREIEV pour bien goûter toute la quintessence de celle-ci.

(Warren Bismuth)

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