Nous vous avons déjà présenté l’immense
ANDREIEV dans une précédente chronique, aussi venons-en directement à ce
recueil de huit nouvelles, toutes écrites semble-t-il au tout début du XXe
siècle. ANDREIEV (1971-1919) sait dépeindre de manière magistrale la Russie
pauvre, celle qui souffre, la rurale surtout, peut-être un pont nécessaire
entre DOSTOIEVSKI, TCHEKHOV et LESKOV.
De ces huit nouvelles, « Le
gouverneur », la première, écrase les autres par sa force, sa puissance.
Elle peut d’ailleurs être cataloguée comme roman (à ma connaissance, ANDREIEV
n’a jamais écrit de « vrai » roman). Un gouverneur vient de donner
l’ordre de tirer sur une manifestation de grévistes crève-la-faim. Bilan :
47 morts et de très nombreux blessés. Depuis il vit souvent cloîtré, près des
siens, il sait qu’il va mourir assassiné, la question est juste de savoir à
quel moment. Il est pris de cauchemars, de folie passagère, de paranoïa. Ce
scénario est tiré d’une histoire vraie, le thème principal est la peine de
mort : doit-on exécuter de sang froid un être, même s’il est coupable du
meurtre de 47 personnes ? « On
eût dit que l’antique loi du talion, elle-même, exigeant la mort pour châtier
la mort, qui s’était endormie et semblait morte aux gens peu perspicaces, avait
ouvert ses yeux froids, vu les hommes, les femmes, les enfants tués, et étendu
sa main autoritaire et impitoyable sur la tête de l’assassin ». Une
sorte d’attente insoutenable dans un couloir de la mort.
Dans les autres nouvelles, un chien
abandonné, Koussaka, battu, montré en spectacle privé, rappelant un peu
« Croc-Blanc » ou « L’appel de la forêt » de jack LONDON.
Et cette dernière nouvelle « La vie est belle pour les
ressuscités » où ANDREIEV nous fait parcourir un cimetière, y entend les
morts. Ils sont vivants mais se taisent. Admirable écriture poétique, pleine de
compassion mais mordante, ANDREIEV réussirait presque à nous faire aimer voire
désirer la mort.
Comme souvent dans les recueils de
nouvelles, certaines sont plus légères, plus futiles, mais le style est là,
bien présent, très puissant. Totalement oublié puis ressuscité (lui
aussi !) par les bons soins des Éditions Corti il y a quelques années (six
volumes plein jusqu’à la gueule et constituant l’intégralité des écrits de
l’auteur, le dernier étant une courte pièce de théâtre). Pour ne rien vous
cacher, je ne les possède pas et me suis rabattu sur un ebook de
« compilation » au prix défiant toute concurrence pour vous faire redécouvrir
par le truchement de huit écrits cet écrivain génial mais sous-estimé, qui a la
trempe des plus grands. Le présent recueil était également sorti en version
papier en 1908, ce qui, vous en conviendrez, ne nous rajeunit guère. Peut-être
qu’avec une certaine assiduité (et sans doute un portefeuille bien garni) vous
aurez la chance de le dénicher.
Si la littérature russe vous passionne,
tout d’abord je vous comprends et vous donne ma bénédiction, ensuite
j’ajouterai qu’il faut avoir lu ANDREIEV pour bien goûter toute la quintessence
de celle-ci.
(Warren
Bismuth)
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