« Les insurgés » n’est ni le
titre d’un roman, ni celui de l’une des cinq nouvelles composant ce recueil,
c’est en revanche le thème principal et commun de ces nouvelles, toutes écrites
après 1900, exceptée la première, rédigée en 1862.
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Les décembristes :
ce n’est pas à proprement parler une nouvelle mais bel et bien les trois
premiers chapitres d’un roman inachevé. Les décembristes furent les acteurs
d’une tentative de coup d’État en 1825 en Russie, au mois de décembre (d’où
leur nom). Le début du roman raconte le retour d’exil d’un décembriste en 1856,
juste après le célèbre siège de Sébastopol durant la bataille de Crimée. Il est
difficile de parler de trois chapitres d’un roman que TOLSTOÏ voulait long et
épais. Sachez seulement qu’il abandonne rapidement le projet pour en attaquer
un nouveau, sur des thèmes assez proches. Ce nouveau roman s’appellera
« Guerre et paix ». Rien que ça. Il sera rédigé entre 1863 (juste
après l’abandon des Décembristes) et 1869. Quant aux « Décembristes »,
TOLSTOÏ tentera bien de les reprendre à la fin des années 1870, mais en vain.
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Après le bal :
écrit en 1903, remarquablement « Maupassantien » (TOLSTOÏ avait lu et
apprécié MAUPASSANT), sur le passage à tabac, la bastonnade pour être précis, d’un
condamné, frappé par des verges de soldats. Courte nouvelle très efficace.
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Pour quelle faute ? :
écrit en 1906. Après une insurrection en 1830, un polonais est exilé en
Sibérie. Là-bas il va tenter de s’évader. Récit âpre et sombre d’après une
histoire vraie.
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Le divin et l’humain :
écrit entre 1903 et 1904. Sont ici décrites minutieusement trois morts à venir,
toutes bien différentes, avec un fort accent religieux – pas seulement dans le
titre -, c’est la période emplie de foi de l’auteur, foi qui ne le quittera
plus jusqu’à sa mort en 1910.
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Notes posthumes du starets Fiodor
Kouzmitch : écrit en 1905, il se base également sur des faits
réels, et non des moindres. Ce Kouzmitch a existé. Il a vécu en sorte d’ermite
en Russie au XIXe siècle, mais serait en fait Alexandre 1er, si si, le tsar,
officiellement mort en décembre 1825, en plein coup d’Etat décembriste, un tsar
que le pouvoir dégoûtait, qui aurait voulu reprendre sa liberté en se faisant
passer pour mort (TOLSTOÏ avance ici ce qu’il appelle des preuves). 1825, les
décembristes, la boucle est bouclée. D’autant que cette dernière nouvelle est
restée elle aussi inachevée, qu’elle aurait dû être le début d’un grand roman.
À en lire les premières pages, il aurait pu devenir le chef d’œuvre de TOLSTOÏ,
ce début est absolument remarquable.
Ces « Insurgés » me paraît
intéressant à bien des égards : la variété des tableaux, les adaptations
judicieuses de faits historiques, des biographies partielles. Mais aussi le
fait que, hormis le premier récit, tout est écrit après 1900, peut-être la
période la moins connue concernant les fictions de TOLSTOÏ, qui alors se
consacrait surtout à des essais.
Ce recueil me paraît l’outil idéal pour
découvrir la pensée complexe de TOLSTOÏ : à la fois historien des guerres,
pamphlétaire, révolté, religieux, biographe, et bien sûr immense écrivain qui
fait vibrer sa plume en nous transmettant ses connaissances. Ce présent recueil
est peut-être le plus solide à conseiller (toutes les nouvelles sont de très
grande qualité), le plus abouti, le plus intéressant. Posez-vous un moment,
effeuillez ce volume, vous en ressortirez telle une fleur épanouie. La
traduction et les notes de Michel AUCOUTURIER sont d’une qualité exceptionnelle
et rendent cet ouvrage indispensable aux Tolstoïen.ne.s. Je reviendrai bientôt
voir TOLSTOÏ, il me manque déjà.
(Warren
Bismuth)
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